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Alfred Pellon, La Femme dans les nuages, gravure sur bois.
Très intéressante soirée proposée par Lesarts57 en partenariat avec l’association Echange & Culture de Longeville-les-Metz, et présentée par M. Laurent Commaille, chercheur en histoire contemporaine. La salle se remplit petit à petit. Environ 50 personnes sont présentes à 20h, pour le mot d’accueil de Mme Astrid Chapelain, vice-présidente d’Echange & Culture, qui rappelle le sympathique partenariat culturel entre les deux associations depuis 15 ans déjà. Mme Martine Ziegler remercie tous les acteurs qui ont permis cette rencontre et trace le programme à venir, en particulier la 15e assemblée générale le 25 mars 2025, à Saulny.
Pour sa 12ème intervention avec Lesarts57, M. Commaille aborde le thème peu connu de l’école messine de peinture pendant la première annexion.
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Cette image, souvent reproduite sur les brochures de la ville, et dont l’auteur inconnu pour la plupart d’entre nous, a été réalisée par Alfred Pellon, pourtant l’un des grands artistes de cette nouvelle école messine qui va émerger fin XIXe.
L’Ecole de Metz, ainsi nommée par Baudelaire, est à son apogée dans les années 1850 à 1870 avec de grands noms : Laurent Charles Maréchal, Auguste Migette, Auguste Hussenot. Migette, dont les tableaux historiques figurent au Musée de la Cour d’Or, habitait à Longeville-les-Metz justement mais sa maison a disparu.
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Laurent-Charles Maréchal (1801-1887), Autoportrait, 1826. – Auguste Migette (1802-1884) peint par Auguste Hussenot (1798-1885).
Auguste Rolland, Aimé de Lemud, Théodore Devilly, Emile Knoepler, Emile Michel sont d’autres personnalités connues de l’Ecole de Metz. Influencés par le romantisme, le moyen-âge, la peinture du nord (Flandre, Hollande, Allemagne), ils admirent Victor Hugo, Eugène Delacroix, en particulier, pour le coloris, la touche de peinture et la composition.
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Auguste Migette, Vue de Sierck. – Emile Knoepfler, Suzanne et les Vieillards.
L’Ecole de Metz disparaît peu à peu, en partie à cause de l’âge de ses membres, mais surtout à cause de la guerre de 1870. La défaite et le rattachement de l’actuelle Moselle à l’Allemagne entraînent l’exode d’une grande partie des artistes et des notables. Ils partent pour Nancy, Bar le Duc, Paris. Hussenot et Migette restent, mais leur influence décline.
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Théodore Devilly, les Adieux, 1885.
Entre 1870 et 1890, Metz est une petite ville de garnison militaire, peu attrayante. Vers 1890, la crainte d’une revanche française s’éloigne. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque, une nouvelle génération née après 1870 arrive. L’Allemagne connait un prodigieux développement économique et démographique. Les villes s’agrandissent.
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La nouvelle génération s’inscrit dans le système allemand, se pense ancrée dans le Reich, une nouvelle bourgeoisie messine se développe avec des familles aisées, Richthofen, Lazard, Mungenast... Mme Mungenast est une Lorraine originaire du pays de Bitche. En 1890, 25% des mariages sont mixtes entre Lorrains de souche et Altdeutschen. Cette émergence d’une bourgeoisie riche, cultivée et influente est importante pour le développement artistique.
Les nouveaux artistes, nés en 1870 ont 20 ans en 1890. Il est intéressant d’observer leurs bornes chronologiques, mais aussi leur lieu de formation dans le système allemand. Au XIXe, jusque 1890, Düsseldorf est un haut lieu de formation artistique. Jugé trop conventionnel, il perd des son influence fin XIXe au profit de Munich.
1877-1954 |
Strasbourg |
|
Jean Engel |
1876-1960 |
Strasbourg Munich |
Émile Grub |
1893-1983 |
Breslau |
Jacques Hablützel |
1868-1939 |
Munich |
Anna Kaiser |
1885-1942 |
Metz Strasbourg |
Clément Kieffer |
1881-1964 |
Strasbourg Düsseldorf |
Lou Lazard |
1885-1969 |
Munich |
Edmond Louyot |
1861-1919 |
Düsseldorf Munich |
Albert Marks |
1871-1941 |
Metz |
Victor Mechling |
1877-1928 |
Munich |
Léon Nassoy |
1873-1937 |
Nancy Munich |
Alfred Pellon |
1874-1947 |
Munich |
Calixte Rémy |
1868-1935 |
Berlin |
Wilhelm Reue |
1893-1962 |
Metz Munich |
Edmond Rinckenbach |
1862-1902 |
Munich Paris |
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Le bâtiment de l’académie des beaux-arts de Munich est très impressionnant en 1900 et encore imposant actuellement. C’est le lieu où s’est développé l’expressionnisme allemand et les débuts de l’abstraction avec Kandinsky.
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Edmond Louyot est le plus ancien, avec Rinckenbach, des peintres du groupe. Né dans une famille d’agriculteurs à La Lobe, sur la commune d’Arry, il semblait destiné à la prêtrise mais sa passion du dessin l’orienta autrement. Après un séjour à Karlsruhe, à l’École des arts et métiers et un autre à Munich, il effectue son service militaire comme volontaire et obtint ensuite une bourse de l’État pour suivre une formation à Düsseldorf puis Munich. Il passe l’essentiel de sa vie d’artiste à Munich mais exposa et vendit à Metz. Épuisé, malade, il rentre à Arry en 1919 et y décède peu après, en 1920.
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Edmond Louyot, Les Lavandières au bord de la Moselle. -- La Moisson à Arry, 1909. – Dans la profondeur des bois, 1919.
Une exposition à Montigny-lès-Metz lui a récemment rendu hommage. Facture classique dans la touche, la couleur et la composition sur la toile des Lavandières, le blanc y est impressionnant sur des bleus très forts. Le paysage de la vallée de la Moselle dans la Moisson à Arry la montre moins boisée qu’actuellement. Et sur le Canal en automne, la touche de peinture épaisse, pas diluée, produits de jolis effets de matière. Dans la profondeur des bois est un de ses derniers tableaux (1919).
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Canal en automne.
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Bien que né à Barr, dans le Bas-Rhin, Edmond Rinckenbach, à l’approche de la trentaine se fixe à Metz et s’établit dans l’ancien atelier de Hussenot, rue aux Ours. Il en fait le centre de la vie picturale messine, attirant les nouveaux artistes émergents. Dans ce tableau, il montre la population messine à l’époque charnière. Le Café du Globe, situé 3 rue des Clercs à Metz, était un lieu d’échange et de rencontre des artistes.
Edmond Rinckenbach, Le Café du Globe, 1890.
Il fonde la revue Jung Lothringen - La Lorraine moderne - mais meurt prématurément en 1902, laissant la revue en plan. La revue publie des textes, des poésies, dans les deux langues, certains en allemand et d’autres en français Elle ouvre ses pages à des artistes comme Heinrich Beecke, Victor Mechling, Alfred Pellon.
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Grande maîtrise du crayon lithographique. Une grande sensibilité se dégage de ce portrait maternel, et du Pierrot qui regarde la cathédrale.
Edmond Rinckenbach, Lieb Mutterlein, crayon lithographique, 1902.
La nouvelle école messine se place dans le sillage de la précédente, rendant hommage, dans la revue, à de prestigieux membres de l’École messine passée, Laurent-Charles Maréchal et Auguste Migette. Les portraits les représentent âgés, ce qui l’inscrit dans la continuité.
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Si Rinckenbach reste très « classique » dans son expression, il est suivi par de jeunes artistes influencés par les nouvelles tendances. Il y a déjà comme de l’expressionnisme, avant l’heure, dans ce portrait de Victor Mechling. Tout l’esprit torturé de l’artiste semble s’y refléter.
Victor Mechling, Das Irrlicht, Le Feu follet.
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Alfred Pellon est sans doute, dans les années1900-1914, le plus doué des artistes messins. Son travail montre l’influence très nette qu’a eu le Jugendstil, l’art nouveau, sur lui. Il grave des bois dans le style des gravures viennoises, jouant sur les oppositions de noir et de blanc qui donnent beaucoup de vigueur, au point que ses dessins s’apparentent à ses gravures.
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Ce qui caractérise en grande partie l’expression des artistes messins et « mosellans » du début du siècle, c’est l’importance de leur enracinement. Léon Nassoy, par exemple, s’il est allé étudier à Munich, va se consacrer à des œuvres reflétant la vie lorraine traditionnelle.
Léon Nassoy, Intérieur de cuisine à Craincourt, 1913.
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Jean Engel, inconnu du grand public, a passé presque toute sa vie dans son village de Rustroff. Professeur de dessin à Sierck, il s’est spécialisé dans la peinture religieuse. Il a ainsi décoré plus de 200 églises en Moselle et en Allemagne. Une jolie fresque est visible dans la petite église Sainte Ségolène de Rustroff, au pays des trois frontières.
Le plus connu de ces artistes est incontestablement Clément Kieffer. Il incarne aussi une certaine continuité entre Alfred Pellon et Jean Morette. Ses gravures sont influencées par la vie lorraine, il fut un maître pour Jean Morette. Un espace lui est dédié à Varize.
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Clément Kieffer, Saules.
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Mais il y a aussi Albert Marks dont Marius Muselet disait : « Bien rares sont les foyers messins qui ne possèdent pas un Marks ». Dès 1895, il acquiert une certaine notoriété et triomphera lors du Kunstverein de 1905 (Exposition des artistes indépendants lorrains). Ses vues du St Quentin sont nombreuses, pente un peu exagérée mais couleurs fondues, effet de brume délicat. Il continue à peindre après la guerre et atteint son apogée dans les années 1920.
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En marge de ces artistes, les sœurs Lazard, appartenant à la bourgeoisie juive de Metz, ont une renommée internationale, dépassant les limites de la Moselle et de l’Allemagne. Elles ont un réseau important, voyagent beaucoup, connaissent Munich après 1906 avec l’avènement du Blaue Reiter et les premières abstractions de Kandinsky.
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Lou Lazard, Berliner Straßenszene, 1924. -- Ilse Heller-Lazard, Dresdner Hbf, 1914.
Cette amorce d’Ecole messine et mosellane a connu un effacement des mémoires dont les causes sont multiples : la première sans doute liée à la situation historique 1870 -1918, et un rejet après 1918 de ce qui a été trop lié à l’occupation allemande. De plus ces artistes sont à l’écart des grands courants, impressionniste, fauve, … de ce qui se passe à Paris. En outre, de par leur origine sociale souvent modeste, ils manquent de « réseau » : le père de Pellon était tailleur de pierre, celui de Louyot, agriculteur, contrairement à des Monet ou Degas par exemple, qui bénéficient de liens sociaux et de réseaux importants.
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Pellon rejette le retour de la Moselle à la France, il va continuer à vivre dans le monde germanique, et travaillera en Allemagne. Esprit trop indépendant pour se plier à un moule quelconque. Choix volontaire ou expulsé ?? Il sera néanmoins un peu un artiste maudit en France.
A. Pellon, Offenburg, 1919.
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Aujourd‘hui, à l’exemple de la gare de Metz si longtemps mal considérée, ces artistes rencontrent une certaine reconnaissance et un intérêt du public. Pellon a bénéficié d’un article dans la revue éditée par les bibliothèques de Metz en 2014, Ilse Heller-Lazard et Edmond Louyot ont été exposés au Château de Courcelles à Montigny les Metz en 2018 et 2024. Louyot est connu et apprécié dans le Massachussetts (U.S). Le musée de la Cour d’Or a déjà accroché des toiles de certains de ces artistes, d’autres sont encore dans les réserves.
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Passionnant, comme toujours, Laurent Commaille nous fait prendre conscience de ce contexte compliqué pour ces artistes dans la Lorraine du début XXe où les jeunes lorrains sont citoyens allemands. La présentation de ce sujet original a ensuite généré des nombreux et intéressants échanges avec le public.
Prochaines rencontres avec Les Arts 57 :
Mardi 25 mars 2025 à 17h,
15e Assemblée Générale,
salle polyvalente de Saulny.
Le 29 avril, 20h, « Georges Méliès et les arts de son temps »,
présentée par Caroline Renouard,
salle polyvalente de Saulny.
Réservation obligatoire par mail ou par tél.
lesarts57@gmail.com ou 03 87 32 05 03
blog : https://lesarts57.over-blog.