Belle affluence au Temple de Longeville ce jeudi 25 septembre pour la première conférence de rentrée « William Turner, lumières et paysages » présentée par Catherine Bourdieu, maîtresse de conférences en Histoire de l’art à l’Université de Lorraine. La soirée organisée par LesArts57 en partenariat avec Les Amis du Temple de Longeville-les-Metz a réuni 94 personnes. Marianne puis Martine accueillent les participants, tracent en quelques mots les activités prochaines de chaque association et les remercient chaleureusement pour leur présence.
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Cette conférence est proposée à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Joseph Mallord William Turner (1775-1851). Son goût pour le dessin et la peinture remonte à l’enfance au bord de la Tamise ou de la mer du Nord. Son père tient une boutique de barbier-perruquier à Londres, quartier St Paul. A dix ans déjà, il produit des dessins aquarellés que son père expose dans la vitrine de la boutique.
William Turner, Autoportrait, v.1799.
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Il travaille chez un graveur pour mettre en couleur des estampes. A 14 ans, en 1789, il devient dessinateur dans l’étude de l’architecte Thomas Hardwick, suit des cours de perspective et topographie et entre même comme élève à la Royal Academy.
W. Turner, L’église Saint Jean de Margatte, v. 1786, crayon, encre et aquarelle sur papier.
Le paysage ne constituait pas un genre dominant dans le domaine de la peinture, il était toujours utilisé comme fond, plus ou moins idéalisé, dans les tableaux et dans les vues de ville. Le paysage topographique représente un panorama réel et identifiable. Il est, quant à lui, très apprécié en Angleterre et dans les pays européens.
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W. Turner, Le Palais de l’archevêque à Lambeth, 1790.
Cette petite aquarelle représente le palais londonien de l’Archevêque de Canterbury, à sa gauche, le pont de Westminster, à droite une taverne, des personnages. Le jeune peintre reconstitue l’environnement du palais, son animation. Il s’applique à créer un espace cohérent en restituant l’imbrication des volumes géométriques des édifices. Le premier plan dans l’ombre met en évidence les bâtiments inondés de lumière.
Carrière à la Royal Academy.
A 18 ans, il reçoit un prix de la Royal Academy, et à partir de 1796, il y expose chaque année jusqu’à la fin de sa vie : 260 œuvres, aquarelles et tableaux ont été recensés.
Première peinture à l’huile exposée en 1796. C’est une scène nocturne et une marine. Au centre : les Needles de l’ile de Wight, paysage résultant de l’érosion des falaises de craie à l’ouest de l’ile. Les trois aiguilles sont représentées comme des silhouettes à contre-jour. Dans un ciel aux nuages sombres, la lune éclaire vivement la mer. Deux barques luttent contre des vagues puissantes. Sur celle de gauche, une lanterne éclaire les pêcheurs. La lumière vive de l’astre crée un scintillement intense et donne un relief supplémentaire aux tourbillons.
En 1799, à 24 ans, il devient membre de la Royal Academy. Grâce à lui la peinture de paysage perd son statut de genre mineur.
En 1807, il devient professeur de perspective. Il crée le Livre des Etudes, dans lequel il divise le genre du paysage en 6 catégories : marine, montagne, pastorale, historique, architecturale, pastorale épique (= pour scènes d’animation). Ce recueil, qui contient 72 estampes originales, s’adresse aux jeunes peintres et pourtant rencontre un grand succès auprès du public.
Turner effectue de nombreux voyages en Grande Bretagne : dans le pays de Galles, le Kent, le Sussex, les Midlands, l’île de Wight, l’Ecosse… Le premier, à Bristol, chez un ami de son père. Il a 16 ans et y met au point sa méthode de travail : réaliser des études sur le motif en extérieur pendant l’été, et composer ses tableaux en atelier l’hiver.
Il voyage aussi beaucoup en Europe : France, Suisse, Italie en particulier à Venise où il retournera plusieurs fois. A Paris, au Louvre, il étudie les tableaux de Claude Gellée dit Le Lorrain et de Nicolas Poussin, peintres du XVIIe s. Durant ses voyages, il dessine et peint des aquarelles sur des cahiers. Il léguera 260 volumes à l’Etat.
Il a des amis prestigieux, l’architecte John Soane, professeur à la Royal Academy, Thomas Girtin spécialiste de dessins d’architecture et topographiques, l’astronome Stephen Rigaud. Et dès 1799, Turner travaille dans le même atelier que John Thomas Serres, peintre de marines du roi Georges III.
John Thomas Serres, Navires de pêche dans la tempête.
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La Porte Saint-Augustin à l’abbaye de Canterbury, 1792-93 --- L’abbaye de Tintern, 1794.
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Le Lac de Buttermere, 1798.
En 1799-1800, il réalise 5 aquarelles pour l’écrivain W. T. Beckford qui a fait construire une maison néo-gothique à Fonthill Gifford dans le sud-ouest de l’Angleterre. L’architecture de cette maison de campagne immense évoque une abbaye, une folie dans le jardin d’un château. Ces aquarelles sont aujourd’hui dispersées dans le monde. L’une montre la bâtisse en perspective, une autre sur une vue plus lointaine, son élévation au sommet de la colline. Ce type de commande importante arrive très tôt dans la carrière du jeune peintre (il a 24 ans).
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Fonthill Abbey, 1799, Manchester. --- Fonthill Abbey,1799, Edimbourg.
Turner apprécie la peinture de Nicolas Poussin, on le ressent dans le tableau de La Cinquième Plaie d’Egypte, inspiré par l’Ancien Testament. Les 10 Plaies d’Egypte sont les 10 épreuves que Dieu inflige aux Egyptiens pour convaincre Pharaon de laisser partir les Hébreux : invasion de grenouilles, sauterelles, moustiques, peste, … La toile représente la peste qui tue les animaux. A droite, la figure fantomatique de Moïse qui maudit les Egyptiens. Au milieu une pyramide, motif emblématique qui identifie l’épisode. Le tourbillonnement des nuages gigantesques écrase le paysage et traduit la colère divine.
Equilibre et dynamisme se retrouvent souvent dans les œuvres de Turner.
Thème fréquent aussi chez Turner, les bateaux maltraités par les éléments en furie. Les mouvements sont assurés par les vagues, les bateaux, mâts, cordages, les nuages. L’écume au premier plan éclaire la scène à elle toute seule. Plus loin le bateau se prépare à la tempête, il a affalé ses voiles contrairement à celui du premier plan qui gîte dangereusement.
Sur cet imposant tableau, (1,72 x 2,40 m), les bateaux essaient d’accoster au ponton en bois. Les marins manœuvrent sur des eaux tourmentées. Des personnages attendent, aident. Turner les représente dans des postures diverses, variées bien reconnaissables. L’écume, là encore, illumine la scène.
Spectaculaire tableau qui représente le Pont du Diable situé sur la route du col du Saint-Gothard dans les Alpes suisses à 2107m d’altitude. Vision fantomatique avec les nuages qui enveloppent la montagne impressionnante. Le coloris minéral permet de fondre le pont de pierre dans le paysage. Les personnages à pied sont minuscules dans les rochers. Turner représente l’être humain fragile et vulnérable dans une nature qui le domine, tout comme les tempêtes qui menacent les marins.
Le Victory, bateau de retour de Trafalgar est représenté en trois positions. C’est un trois-mâts aux voiles carrées. En 1805, ce navire perfectionné a joué un rôle majeur dans la bataille navale entre la flotte franco-espagnole et la flotte anglaise commandée par l’amiral Nelson et qui se termine par la victoire britannique. La surface de la mer occupe 1/3 du tableau ce qui permet aux bateaux de se détacher sur la surface du ciel. Avec ses trois angles de vue, Turner réalise un véritable portrait de ce bateau si magnifique. Le ciel nuageux, mais clair, permet de mettre en valeur l’aspect monumental du navire. Le ciel est structuré avec beaucoup d’attention, la couche picturale d’épaisseur variable, les nuages traités avec plus d’empâtement. A gauche, la troisième vue plus lointaine met en évidence la silhouette avec ses 3 ponts. La vue de face insiste sur l’aspect volumineux des voiles, la multiplication des cordages, et la masse de la coque. A droite, la vue de profil permet de saisir les spécificités techniques du bateau.
Le point de vue, en hauteur depuis les haubans tribord du mât de misaine, crée par Turner lui permet de montrer l’imbrication des bateaux, la forêt de voiles, la fumée des canons, les armées, l’agitation de la bataille … La victoire de Trafalgar est une fierté pour les anglais, et une thématique abordée par de nombreux peintres. Les peintres de marines étudient les bateaux et s’attachent à les représenter le plus vraisemblable possible.
Turner peint aussi des scènes de genre. Dans ces scènes de la vie quotidienne, il apporte de la nouveauté dans l’interprétation et le sujet.
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Un forgeron de campagne discutant avec un boucher le prix du fer et le prix facturé pour ferrer son poney. 1807. Huile sur acajou. Londres.
Cette scène est représentée sur un bois précieux, l’acajou sur un format plus réduit. Les peintres utilisent toutes sortes de support. Forgeron au travail, discussion, basse-cour…
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La Grange après la récolte, 1809.
Point de vue étonnant et rare de l’intérieur d’une grange ouverte sur l’extérieur comme un tableau dans le tableau. Foule impressionnante. Scène campagnarde de gens joyeux qui se restaurent et fêtent la fin de la récolte.
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La récolte des navets, 1809.
Depuis avril 1804, il a ouvert sa propre galerie à Londres, à l’angle Harley Street-Queen Anne Street. Il peut y présenter environ 30 œuvres, ce qui multiplie les possibilités, pour le public, de voir son travail. Pour observer les réactions spontanées des visiteurs devant les tableaux, il installe un judas sur une des portes. En Angleterre, peu d’artistes peuvent acheter une galerie pour présenter leurs œuvres. Son métier de professeur lui assure un revenu. Les commandes affluent, son activité devient assez rapidement prospère.
C’est une scène de genre mais aussi une marine avec la représentation de plusieurs bateaux différents, sujet qu’il connait bien et affectionne particulièrement (véritable cible du tableau).
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Il met l’accent sur l’aspect pittoresque de la scène, le cheval et sa charrette près du bateau pour décharger le poisson et l’amener sur la plage. Le chien, les paniers, les différents poissons, la vente directe du poisson, le détail de l’installation des vendeurs et des acheteurs, les postures variées, animent cette scène pourtant en proportion réduite par rapport à celle des bateaux et du ciel (environ 1/3 pour chaque). Le ciel est traité par des empâtements variables de blanc laissant parfois entrevoir la trame de la toile, ou des mouettes plus chargées en épaisseur. Dans cette atmosphère brumeuse, des travées lumineuses éclairent les voiles, les personnages, les poissons…
Scène historique, la ville de Carthage fut la rivale de Rome jusqu’à sa défaite pendant la 3e guerre punique au IIe siècle av. J.C. Le soleil couchant sur la ville de Carthage montre bien l’admiration de Turner pour Claude Gellée, dit le Lorrain, en particulier dans Le débarquement de Cléopâtre : même trouée de la mer au centre, bâtiments antiquisants immenses de part et d’autre, perspective affirmée dans les deux cas : point de fuite sur l’horizon, personnages aux proportions infimes par rapport aux dimensions du tableau.
Pendant 15 ans, Turner poursuit sa carrière en continuant d’utiliser ses formules récurrentes, fidèle à l’aspect imposant de la nature dominant la condition humaine. Puis il change de technique rapidement. Sa perception de l’environnement se modifie. Il étudie le traité des couleurs de Goethe (1810), qui expose comment les couleurs, qu’il définit comme un mélange de lumière et d’ombre, peuvent être perçues subjectivement selon l’environnement. Le Coucher de soleil écarlate, 1830, en est une illustration. Cette toute petite aquarelle rehaussée de gouache (13 x 19 cm) devient une référence pour Monet qui peindra 40 ans plus tard le mythique Impression, Soleil levant, 1872, tableau fondateur de l’impressionnisme.
Gamme colorée chaude très lumineuse dans ce Coucher de soleil écarlate. Le ciel est transformé par la couleur dégradée du jaune. Le rouge se reflète sur la falaise, dans l’eau. Discrète présence humaine, chevaux, silhouette de bâtiments, d’un pont, et parmi ces formes floues, seul le disque solaire a une forme précise, ainsi que son reflet mouvant dans l’eau. Touche épaisse pour le soleil de Monet et ses reflets sur l’eau. Monet a découvert Turner au moment de la guerre de 1870, lorsqu’il passe quelques mois à Londres. Cette imprégnation est reconnaissable dans son tableau.
L’horizon est environ à mi-hauteur développant la même surface pour terre et ciel. Des silhouettes ramassent coquillages et appâts. Toutes penchées vers le sol, elles ne dépassent pas la ligne d’horizon. Dans le ciel, le disque solaire crée avec les nuages une percée triangulaire dont le reflet sur la plage réchauffe et illumine le sable et contraste avec les parties gris bleuté. La figure humaine donne le titre mais est secondaire dans la restitution de la sensation.
Que de la couleur, aucune forme. Le coloris embrase le ciel. Ce tableau annonce les courants de peinture à venir.
Le 16 octobre 1834, le Palais de Westminster où siège le parlement britannique, est presque entièrement détruit par les flammes. Témoin de cet incendie, Turner loue un bateau et s’installe sur la Tamise pour réaliser sur le vif croquis et aquarelles. La foule se presse sur les berges. Situé au milieu, sur l’eau, le peintre restitue sur la toile ses sensations, ses impressions de deux points de vue différents. Les flammes montent très haut jusqu’aux nuages dans le ciel sombre. Le coloris devient de plus en plus intense, se reflète sur le pont de Westminster et sur l’eau de la Tamise, les silhouettes des tours apparaissent jaune décoloré. Sur le 2ème tableau, encore plus saisissant, le reflet sur le pont et l’eau multiplie par deux l’image des flammes !
Le dernier voyage du Téméraire, un des tableaux favoris de Turner, représente un fait réel, spectaculaire et émouvant pour les anglais. En 1838, le grand navire de guerre ayant eu un rôle historique majeur dans la bataille de Trafalgar en 1805, est remorqué sur la Tamise par un petit bateau à vapeur pour être détruit. Contraste symbolique entre l’ancien monde et le progrès technique, entre la beauté et la majesté du grand navire et le petit remorqueur sombre mais rapide. Turner innove en représentant le bateau historique un peu fantomatique avec une dissolution des formes contrairement à la précision du remorqueur dont on distingue les roues à aubes, la cheminée qui crache de la fumée.
Poursuivant son étude sur la représentation de la lumière, les formes sont de plus en plus diluées, seuls quelques éléments sont parfois identifiables, Turner s’attache de plus en plus à restituer des sensations.
Ce tableau retrace l’épisode réel d’un capitaine de navire, le Zong, qui a fait jeter par-dessus bord 133 esclaves pour toucher l’argent de l’assurance.
Le premier plan relate la tragédie : des mains, des fers, des chaines, des parties de corps…, vision brutale. Des poissons énormes se précipitent pour dévorer, ce qui amplifie la violence de la scène.
Turner était engagé pour l’abolition de l’esclavage. C’était interdit dans l’empire britannique depuis 1833, mais pas encore dans tous les pays européens.
Une locomotive passe sur un pont de chemin de fer au-dessus de la Tamise. C’est un pont construit en 1837-39 pour relier Londres à Bristol et dont l’architecture provoque l’admiration. Il traverse la campagne. La locomotive est identifiable, c’est le modèle le plus moderne du moment. Il atteint un record de vitesse de 80 km en 1840. Contrastant avec la petite barque sereine sur l’eau, le train, (= le progrès) fend la campagne et bouleverse le quotidien. La pluie et la vitesse du train modifient la perception du peintre dans ce paysage rural. Son point de vue décalé, en hauteur, vision irréaliste, suggère l’aspect éphémère. En bas, à droite, un lièvre fuit devant la locomotive, symbole aussi d’une nature bientôt vaincue par l’industrialisation !
Turner a aussi innové dans ses pratiques commerciales fixant lui-même le prix d’un tableau en fonction de ses dimensions. Son œuvre est diffusée par la réalisation de gravures d’interprétation fidèlement reproduites.
Voyageur infatigable, il a exploré toute sa vie de nouvelles régions. Il a contribué à rénover la peinture anglaise et joué un rôle important dans l’avènement de l’impressionnisme. Son style a évolué en 2 ou 3 étapes avec une volonté constante d’innovation en lien avec la modernité de son temps.
Passionnante, une fois de plus, largement applaudie, Catherine nous a vraiment fait découvrir en ce peintre de la lumière, fasciné par la marine, sensible au contexte historique et au progrès, un grand précurseur.
Prochaine rencontre avec lesarts57
Le mardi 25 novembre à Saulny
Conférence de M. Pierre Brasme : « Les femmes peintres messines».