Après les traditionnels échanges de bons vœux, les deux groupes, une soixantaine de personnes, démarrent la visite organisée par Les Arts 57 au 2ème étage, immergés dans un espace noir.
L’exposition, répartie sur deux niveaux, 200 œuvres, 100 artistes est source de trois grands vertiges :
le premier visuel : la nuit transforme notre perception,
le deuxième induit des changements de comportement : angoisses, insomnies…
le troisième est le vertige du cosmos et la place de l’homme dans l’univers.
Dans l’obscurité, une fois l’œil habitué, d’innombrables petites lumières agitées, en réalité de minuscules lucioles, forment comme une carte du ciel vivante, en mouvement permanent. Cette vidéo de Jennifer Douzenel a été filmée en Malaisie sur un bateau au bord de la mangrove. « Kelip », titre de l’œuvre signifie luciole en malais.
Se perdre dans la nuit.
Le parcours de l’exposition est conçu comme une expérience de la traversée de la nuit. La première galerie est dessinée comme une ville dans laquelle on déambule, jusqu’à arriver à son extrémité face à un grande espace dédié au monde du rêve et aux liens avec le surréalisme.

Chef-d’œuvre énigmatique et poétique du genre du nocturne typique du romantisme, (sans doute à l’origine du thème de cette exposition initiée par Jean-Marie Gallais). Il combine à la fois une lueur naturelle, celle de la pleine lune qui se laisse deviner par son reflet sur l’eau, et la lueur artificielle d’un lampadaire, lui aussi hors champ, projetant les ombres de deux danseuses. Un groupe de spectateurs devenu un amas sombre et au premier plan un plancher en bois, renforcent la théâtralité de la scène. Au loin, une autre lumière, minuscule point rouge d’un phare ?
Adrian Ghenie, La fin du Romantisme, 2009.
En contre point dans la même salle, cet arbre obstacle grand format, antithèse de la nuit romantique. Ce jeune artiste contemporain travaille au couteau, à la spatule…
Jan Sluijters, Nuit de pleine lune, 1912. Edward Steichen, Balzac, silhouette, 4h du matin. 1911. Piet Mondrian, Paysage au clair de lune. 1907-1909.
Sluijters : scène de nuit fauve. Hommage à la nuit étoilée de Van Gogh, paysage néerlandais typique, canal…
Steichen, peintre et photographe d’origine luxembourgeoise, installé à Milwaukee. Il vient à Paris et photographie à la demande de Rodin, cette sculpture qui avait provoqué tant de polémiques. Photographe d’avant-garde, Steichen fait de ses clichés de véritables œuvres d’art.
En 1913, revenant dans son atelier au crépuscule, Mondrian ne reconnait plus l’agencement, les formes et couleurs sur sa toile, l’arbre découpé précisément le jour devient une masse sombre… c’est ce qui va le mener vers l’abstraction.
Claude Monet, Leicester Square, la nuit, 1900-1901. Amédée Ozenfant, Gratte-ciel éclairé, 1950. Une rue la nuit, 1951
La nuit romantique va laisser place à la nuit urbaine éclairée, dédiée au travail et aux plaisirs : halos, reflets, vibrations, clignotements … De sa fenêtre à Londres, Monet est fasciné par l’éclairage et ses reflets multipliant les taches colorées sur l’eau. Amédée Ozenfant, lors de son exil à New York (1938 -1955), découvre une ville lumineuse et verticale. Il représente des gratte-ciels éclairés, mêlant différents plans, différentes perspectives et échelles, même des vues d’avion. Le fond des tableaux est dominé par une palette brune rougeâtre, expression de la pollution lumineuse, qui empêche de voir les étoiles dans une ville la nuit.
Alex Katz, 1927. Bond Street, 1998.
Etonnante huile sur toile réalisée depuis son atelier. De loin, on distingue les phares des voitures, enseignes lumineuses et réverbères. De près, on ne voit que des traits de peinture.
Étonnante découverte dans les années 1950 : les scènes nocturnes parisiennes d’Auguste Chabaud. Au début du siècle, ce peintre vit à Paris. Il est connu pour ses paysages provençaux, ses portraits et expose aux différents Salons. En secret, il représente des nuits parisiennes, des rues aux contrastes prononcés, des enseignes criardes de cabarets, d’hôtels, des portraits de belles de nuit aux yeux aguicheurs, une silhouette de prostituée dans l’embrasure de porte.... Entre Fauvisme et Expressionnisme, il n’avait jamais dévoilé les toiles de cette période (1907-1911.)
Cet éclairage public nocturne révèle ce que le jour cache : les vices de l’Homme. La nuit est habitée par toutes sortes de personnages, inquiétants, étranges… Georges Grosz, artiste engagé dans l’Allemagne de l’entre 2 guerres, a une influence considérable. Grâce à des caricatures présentées dans un livre « Ecce homo », il dénonce le côté obscur, malsain et cruel de la société, de notables de jour aux comportements déviants la nuit … La couverture représente un proxénète borgne (1922-23).
Georg Scholz, La guérite du garde - barrière, 1925.
La lumière vient de l’intérieur, le veilleur de nuit est tourné sur lui-même, seul, mélancolique.
Magnifiques photos de Brassaï qui découvre le Paris des années 30, valeur presque documentaire : allumeur de réverbère, deux personnes discutent … (Ce sont des photos posées, mises en scène…).
Robert Morris, Toile retournée, 2003-04.
Cire sur panneau de bois, il peint avec de la bougie et y inclut directement les pigments. Par les fenêtres noires, un incendie menace la maison. Cet artiste est décédé en novembre 2018.
Martin Kippenberger.
Lampadaire aux ivrognes, 1989.
Berlin la nuit, 1981.
Le lampadaire qui attire par sa lumière de même que le A, enseigne lumineuse de Apotheke, (pharmacie) en allemand constituent des repères pour les personnes alcoolisées la nuit.
Philip Guston, Midnight Pass Road, 1975.
Grande toile où passe un fleuve noir : le flux des idées, des obsessions nocturnes, la nourriture, l ‘heure,… des jambes suite à l’amputation de celle de son frère, un autoportrait les doigts sur la tête, lampe, équerre, l’inspiration qui manque à l’artiste… au premier plan , l’espace de travail, au troisième plan , une ile, des yeux tournés vers le ciel ( rêve ?)…

Louise Nevelson, Jardin tropical II, 1957
Assemblage de 15 boites en bois peint découpé.
Pénurie de matériaux lors de la 2ème guerre, elle erre seule dans la ville de New -York, récupère ces boites, les remplit, les peint … Plus intéressée par le jeu des ombres, c’est une « sculptrice d’ombres ». Elle est une des pionnières de l’installation.
Spencer Finch, Etude de la lumière dans une pièce vide, 2015.
Il essaie de recréer les jeux de lumières de ses souvenirs d’enfant sur les murs de sa chambre, le soir dans son lit. Un système expérimental reconstitue par le passage des phares de voitures, des lumières d’une ambulance… en projetant des lumières sur les murs de son atelier new-yorkais.
André Masson, Piège à soleils, 1938. Marcel Jean, le Spectre du gardénia, 1936. Max Ernst, Vision provoquée par l’aspect nocturne de la porte Saint-Denis, 1927. Man Ray. Clair de lune, 1948.
Chef - d'oeuvre d'André Masson, le Piège à soleils, représente une machine en train de l'emprisonner pour permettre la création de nuit, chère aux surréalistes.
Le titre originel de la sculpture était « Le Secret du gardénia » devenu « Spectre» à la suite d’une erreur d’impression dans le catalogue d’exposition (1936). Film pellicule autour du cou et fermetures Eclair pour les yeux qui peuvent s’ouvrir et laisser voir des étoiles.
Pour Max Ernst la porte Saint-Denis est transformée en forêt pétrifiée, abritant des oiseaux cachés.
Dans cette gouache sur panneau de bois de Man Ray, la lune éclaire les rêves et permet les métamorphoses. A côté de sa signature le symbole de l’infini en guise de 0.
Immense rideau de scène utilisé lors des représentations de cet artiste, dessinateur, performeur au corps tatoué. Velours noir sur lequel a été projetée de l’eau de javel, puis rehaussé de breloques, strass … représentant des étoiles. Ce fond de scène, d’abord intitulé « Past Night » (la nuit dernière), est devenu « Past Knight» (chevalier du passé) après la disparition de son ami Bernard Pélassy en 2002.
Dans la Galerie 3, l’observation de nuit étoilée amène le troisième vertige, celui du cosmos, de l’infini.
Ecossais né en 1959, grand voyageur, du Canada aux Caraïbes, études en grande Bretagne, il a passé quelques temps à la cité radieuse de Briey. Artiste contemporain actuellement très coté. Le reflet de la voie lactée sur l’eau replace la terre dans l’univers. Le ciel occupe les 2/3 de la toile, la terre est réduite à une mince bande claire au bord de l’eau, la minuscule petite fille dans le canoë renforce l’impression de petitesse de l’Homme face à l’univers.

Raymond Roussel, Etoile cosmique, 1923.
Étrange objet, ce petit biscuit en forme d’étoile a été conservé précieusement, à la suite d’un déjeuner avec son ami Camille Flammarion, dans un reliquaire en argent fabriqué sur mesure.
Après la mort de Roussel, Georges Bataille le retrouve sur un marché aux puces et l’offre à Dora Maar. En partie à l’origine du texte « les mangeurs d’étoiles », 1940.
Jason Dodge, Above the weather,
Etoffe tissée en Algérie avec un fil de 12 km, pour parvenir aux limites de la première couche de l’atmosphère, au-delà commence la stratosphère ouvrant la porte sur l’espace.

Pablo Picasso, Femme nue couchée, 1936.
Grand nu réalisé au début de sa rencontre avec Dora Maar. Le corps disposé en travers, la tête renversée, les doigts reliés par un fil aux étoiles, comme sur un nuage, chambre ouverte sur le ciel, la représente en extase.
Céramiques créées avec les matériaux des 5 continents, récipients constitués de roches anciennes profondes recueillies dans chaque continent. A l’intérieur, il réalise une glaçure à partir de tout ce qui est au-dessus : insectes nocturnes, plumes, ossements, morceaux, de carlingue d’avion… broyés, chauffés. Cinq nuits de 5 continents ainsi matérialisées par ces bols.
Roy Lichtenstein, Moonscape (Paysage lunaire), 1965.
Sérigraphie sur rowlux. (sorte de film en polycarbonate moiré).
Raphael Dallaporta. La lune s’éloigne de la terre de 3.8 cm/an. C’est un faisceau laser envoyé sur la lune qui permet des mesures précises de la distance terre-lune. Envoyé vers la lune, il rebondit sur un petit dispositif « coin de cube » laissé par les missions lunaires des années 1970. L’artiste établit un parallèle avec l’Os de l’Abri Blanchard (Dordogne) daté de 30 000 ans av J.C. gravé de points. Etrangement, des études récentes montrent, que ces marques correspondraient à l’observation du cycle lunaire sur une période de deux mois.
Darren Almond, Nocturne in four Parts, (Nocturne en quatre parties), 2017-18, acrylique sur aluminium.
Fasciné par un ciel nocturne et aurores australes en Patagonie, il superpose des couches d’encres, de lavis dilué qu’il ponce, produisant de loin un effet étonnant.
Daisuke Yokota, Mortuary, 2016.
Ce photographe japonais s’est souvenu d’une sensation d’aveuglement lors de sa petite enfance. Cherchant à traduire cette sensation d’enfermement sur lui-même, il a travaillé ces immenses rouleaux photographiques en chambre noire comme des peintures. L’installation est entourée d’un revêtement noir absorbant les bruits associés.
Lucio Fontana
Artiste italien mort en 1968 en pleine conquête spatiale, crée des installations en lumière noire, à partir de bois découpé, plongeant le visiteur dans un espace sans repère et l’impression d’être tout petit dans le cosmos.
Dans l’idéal, à l’extrémité de la galerie 3, la vue sur la ville de Metz illuminée et la cathédrale de nuit devrait constituer le point d’orgue de cette intéressante visite guidée par Benjamin. C.C.
Prochaine rencontre avec Les Arts 57 :
Le 14 mars, conférence de Mr Haefeli, héraldiste, " Balade en pays messin" à Longeville.
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