Ce vendredi 19 mars, 14 h, toujours par Skype, Catherine et Martine accueillent les 21 participants. Attendu avec grand plaisir, ce rendez- vous mensuel organisé par LesArts57, s’avère chaque fois passionnant grâce à Catherine. Martine remercie aussi de leur fidélité les 52 adhérents qui permettent à l’association de perdurer dans ce contexte restrictif.
L’origine de la citadelle à Metz date du rattachement de la ville au royaume de France après le siège de Charles Quint en 1552. La victoire du roi Henri II place la cité messine sous la protection de la monarchie française. L’installation d’une garnison, qu’il faut loger, nécessite alors la construction d’une citadelle. En 1556, sa construction commence au sud-ouest de la ville, à environ 20 m au-dessus de la Moselle, renforçant les fortifications médiévales. C’est un quadrilatère prolongé par 4 bastions d’angle, entouré de douves, conçu par l’italien Roch Guérin, mis en œuvre par le maréchal de Vieilleville, gouverneur de la ville. Elle doit résister à l’artillerie et aussi protéger les représentants du pouvoir royal en cas de soulèvement de la population.
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C’est un des tout premiers plans connus où la citadelle apparait. Elle modifie l’aspect de la ville ainsi que ses repères visuels côté S-O : l’enceinte, les tours, les portes … Ouvrage important de 300 à 400 m de côté. Son emprise s’étend de la place du roi Georges (un peu au-dessus) jusqu’à la lisière du Palais du Gouverneur actuel… 4 bastions : bastion d’Enfer (ht-g), bastion Saint-Pierre (ht-dr), bastion Royal (bas-dr), bastion Champenoise (bas-g), déformation de Serpenoise. Les murs sont terminés par un crénelage. Sur chaque bastion, des gardes et des guérites sont représentés.
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Différentes constructions déjà existantes sont insérées dans la citadelle :
- n° 10 l’abbaye féminine de Sainte-Glossinde,
Les bâtiments existants sont réemployés :
- l’abbaye Saint-Pierre (n° 12) abrite un magasin, le logement du commandant de la citadelle et le logement du lieutenant du roi.
- l’abbaye Sainte-Marie (n° 13) abrite l’arsenal et dans son église est installée la forge.
- la chapelle des Templiers devient le magasin à poudre.
Pour aménager l’intérieur, il faut aussi dégager des espaces et démolir environ 250 maisons privées. Tous ces aménagements nécessitent de grosses dépenses, seul, le grand magasin de la citadelle, réserve de vivres, est construit (n° 11).
En 1564, la garnison peut s’installer. Les habitants de Metz sont mis à contribution : contraints de travailler au terrassement du site, d’entretenir les troupes, logement, grain et vin. A la fin du XVIe siècle, la citadelle est achevée, fonctionnelle et rend la défense de Metz un peu plus efficace. De passage à Metz en 1603, Henri IV juge la citadelle mal conçue : elle n’est pas elle-même défendue à l’extérieur de la ville, au-delà des douves. Le premier plan du XVIIe siècle parait dans un ouvrage édité par Fabert le Portrait de la ville et cité de Metz, dans Le voyage du roy à Metz, édité en 1610 par Abraham Fabert qui a inspiré le plan peint en 1650 et celui de Caspar Merian gravé avec plus de soin en 1655.
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Parcelles bien identifiées, espaces verts plantés d’arbres, chapelle des templiers visible, courtine entre les bastions d’Enfer et Champenoise renforcée par des tours. La porte monumentale de la citadelle est représentée contre le bastion Royal (Real). La seconde porte de la citadelle apparaît, reliant le chemin de ronde vers la tour d’Enfer. Ces deux portes sont précédées de ponts qui enjambent les douves. Sur chaque bastion, une tour à la pointe et une guérite et la présence étonnante de canons sur les bastions Champenoise et Royal illustrant bien le rôle de l’artillerie dans la défense de la ville.
Plan de Casper Mérian, gravé en 1655. Profil de la ville de Metz en Lorraine veue du coste de la porte Mazel, Israël Silvestre. Plan peint sur toile, milieu du XVIIe siècle, (152,5 x 194,5 cm), musée de la Cour d'Or, Metz .
Israël Silvestre a réalisé de nombreuses représentations de Metz. Celle en frise (Profil de la ville de Metz ) met en évidence les silhouettes des bâtiments. La citadelle se détache sur la gauche de la gravure. Sur une autre gravure, la citadelle est vue de l’extérieur de la ville, au-delà des douves, entre deux bastions. Les tours défensives, la végétation, les courtines et les tourelles se distinguent bien.
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En 1673, Colbert charge Vauban de renforcer les défenses et d’améliorer les fortifications de Metz. L’ingénieur Antoine Niquet dirige les travaux et met en œuvre la construction de l’ouvrage à cornes de la citadelle en 1676. Ce système est fondé sur la construction de bastions extérieurs et d’une courtine pour renforcer encore la protection de la citadelle.
Au XVIIIe siècle, la garnison compte deux bataillons de 256 hommes. Les bâtiments sont très dégradés. Une description de l’intérieur de la citadelle en 1700 indique 3 casernes comportant des petites maisons, 49 chambres en tout, 3 lits par chambre, 3 soldats par lit ! ce qui permet de loger 431 soldats. L’écurie, dépourvue de mangeoires et de râteliers, est trop petite pour contenir les chevaux de la cavalerie. Pourtant, un historien de la ville, Dom Théodore Brocq décrit de manière plutôt élogieuse la citadelle dans Nouvelle histoire de Metz ou recueil historique de ce qui est arrivé de plus remarquable et de plus certain dans la célèbre ville de Metz depuis le temps de Jules César inclusivement jusqu'à l'année 1756, tome I, p. 103].
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On y apprend que l’ouvrage à cornes a été lui-même renforcé par une demi-lune, un ouvrage défensif concave, courbe, protégeant les bastions. L’Esplanade ( plus petite) existe déjà, et le jardin de Boufflers aménagé sont bien visibles sur le plan.
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Légende du plan de 1749 liée à la citadelle :
a Magasin à poudres (en bas à gauche) ;
c Logement du Lieutenant du Roy (à droite du précédent) ;
d Logement du Major (à gauche du précédent) ;
e Magasins au plomb (petit édifice octogonal, la chapelle des Templiers);
f Magasin des vivres (à droite du précédent) ;
g Arsenal (encore à droite) ;
r Bâtiment et corps de garde, de la Porte de la Fontaine (au-dessous arsenal) ;
s Porte royale (en ht à G de la citadelle, sous le bastion n°41) ;
t Porte de secours (ouvre sur l’ouvrage à cornes à droite) ;
x Prison (entre la porte S et le logement du Major d);
y Petit bastiment occupé par le boucher (en haut à droite du précédent) ;
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Plan de 1775 : très belle carte, au centre le plan de la ville; à gauche et à droite, les légendes permettent de retrouver les sites et les bâtiments. En haut, un profil du fort et de la ville neuve, autour de la place de France, l’église Saint-Simon-et-Saint-Jude. Aux angles supérieurs et à la bordure inférieure, l’élévation des édifices majeurs de la ville. En haut à gauche, la Porte St-Thiébault, en haut à droite, la porte de la citadelle, en bas, de gauche à droite, façade de l’église St-Vincent, l’Opéra appelé Comédie, le corps de garde appelé Magazin, l’hôtel de ville, le Parlement, l’Intendance et le portail classique de la cathédrale conçu par Blondel.
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Ouvrage défensif qui sécurise l’entrée de la citadelle, la porte royale de forme cubique est conçue sur le modèle de l’arc de triomphe antique à trois travées. La travée centrale, arche à ouverture large, permet l’entrée et la sortie de nombreux soldats, carioles… les travées latérales aux ouvertures superposées plus petites sont destinées à la surveillance. Des piliers massifs traités en bossage séparent les travées. Le sommet de l’élévation est constitué par un étage comportant des ouvertures carrées et rectangulaires et un couvrement pointu. Sous les armoiries royales, celles du gouverneur (pouvoir militaire) et celles de l’évêché (Metz appartient aussi à la province des 3 évêchés). Dans la ville fortifiée, elle représente le pouvoir monarchique et les symboles de la ville.
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Dès 1791, la destruction de la citadelle est programmée. Vers 1800, elle est encore dans un état proche de celui de ses origines, avec les constructions du XVIe siècle, la fortification de Vauban et les douves. Entre 1802 et 1816, la prison, le magasin à poudre, les bastions Royal et Saint-Pierre sont démolis. Les fossés côté nord sont comblés. L’Esplanade est agrandie et la place Royale construite sur le terrain libéré par le bastion Royal. C’est là que sera installée l’Exposition Universelle de 1861.
Il reste les deux autres bastions (d’Enfer et Champenoise) ainsi que l’ouvrage à cornes. La porte de secours qui donnait sur l’ouvrage à cornes devient la porte principale de la citadelle.
Sur l’Esplanade, on construit un kiosque en fonte en 1852. Démoli en 1940, il sera remplacé par un 2e kiosque de 1957 à 1973.
Le plan de 1841 montre que la ville reste enserrée dans ses fortifications. Leur démantèlement est ordonné en 1898 sous l’annexion. Les travaux de démolition de 1900 à 1905, mettent à jour des vestiges antiques et médiévaux, éléments d’architectures et objets.
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Une partie du mur d’enceinte remontant à l’antiquité tardive (fin IIIe - début VIIIe siècle), de nombreux supports d’architecture et de reliefs ornementaux, un autel portant un bas-relief en forme de tête de taureau sont découverts. Ce bloc faisait partie du rituel appelé taurobole, consistant à égorger un taureau et à asperger les fidèles avec son sang. Ce rituel, lié au culte de Mithra, est connu dans la région. On retrouve aussi la base de la Tour d’Enfer et lors de travaux du percement de l’autoroute A 31, dans les années 1960, les vestiges de l’ouvrage à cornes, au niveau de l’entrée vers la ville.
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Vestiges de la citadelle aujourd hui : l’église Saint-Pierre aux Nonnains, la chapelle des Templiers, l’Arsenal, le Magasin aux vivres, tous si joliment restaurés.
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Eglise Saint-Pierre-aux-Nonnains : 36,8 x 20 m. Construite à la fin du IVe siècle, le bâtiment est d’abord une palestre, élément de thermes romains utilisé pour la pratique sportive. Dès le VIIe siècle, l’édifice est transformé et devient la chapelle d’une abbaye bénédictine féminine. De cette époque date le chancel (= entourage sculpté du chœur) conservé au musée de la Cour d’or. Désaffectée lors de la construction de la citadelle, elle est réaménagée en magasin (= réserve), logement du commandant de la citadelle et logement du lieutenant du roi. Au XXe siècle, elle est transformée en salle d’exposition et de spectacle.
St-Pierre-aux-Nonnains, le cloître du XVIe siècle. Chancel, VIIe siècle, Musée de la Cour d'Or, Metz.
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La chapelle des Templiers : de forme octogonale, elle est édifiée entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle. Abside hors-œuvre. Au moment de la construction de la citadelle, la commanderie est démolie, la chapelle alors utilisée comme magasin à poudre. Elle reste le seul vestige architectural de la présence de l’ordre du Temple à Metz. Les murs intérieurs concaves sont ornés de scènes peintes du début du XXe siècle.
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Le Magasin aux vivres, 1559. 125 x 18 m. Il servait à entreposer et conserver de la nourriture, en particulier des grains. Lors du démantèlement de la citadelle, il n’est pas démoli mais utilisé comme entrepôt. Longtemps délaissé, il est transformé en hôtel-restaurant « la Citadelle » au début des années 2000. La transformation intérieure très réussie réutilise les arcades, certaines anciennes, d’autres recréées.
Le Magasin aux vivres. L’architecture extérieure. Escalier originel. La transformation intérieure.
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L’Arsenal ou Arsenal Ney : construit en 1860-1864 à la demande de Napoléon III, sur le site même de la citadelle. Il se compose de 4 corps de bâtiments autour d’une cour carrée. A la fin de la seconde Guerre mondiale, il est désaffecté. Dès 1972, l’Association Renaissance du Vieux Metz alerte les Messins et commence une action pour sauver le bâtiment. En 1978, projet de réhabilitation. L’architecte Ricardo Bofill est retenu pour transformer l’édifice en une salle de concert, inaugurée en 1989. L’aile ouest est supprimée pour ouvrir son espace sur une grande terrasse et jardin avec vue sur les édifices environnants.
Arsenal et Esplanade - Etat en 1972 (RL) - Démolition de l’aile ouest en janvier 1987 (RL)- Etat actuel de l’Arsenal.
Toutes ces destructions peuvent sembler regrettables, mais elles ont permis :
1) la modernisation, l’agrandissement et le remodelage de la ville ;
2) des découvertes archéologiques souvent sur l’époque antique, contribuant à une meilleure connaissance de l’histoire de la ville. Les vestiges étudiés et exposés au musée enrichissent les collections.
Un grand merci unanime à Catherine, qui apporte encore une précision concernant la Porte Serpenoise. C’était une entrée de la ville datant de Napoléon III, déplacée en limite du nouveau quartier sous l’annexion. Cette exploration du patrimoine messin donne, à tous, très envie de revisiter les lieux et de retourner au Musée de la Cour d’Or.
Bibliographie :
Julien Trapp et Mylène Didiot (dir.), Défendre Metz à la fin du Moyen Age. Étude de l’enceinte urbaine, PUN, Éditions Universitaires de Lorraine, 2017, 559p.
Julien Trapp, « Détruire la citadelle de Metz. Une aubaine pour l’archéologie ? », Faire la guerre et se reconstruire, Publications Historiques de l’Est, n°65, CRULH, 2019, p.67-82.
Pierre-Édouard Wagner, « Contexte politique et construction de la citadelle de Metz », Faire la guerre et se reconstruire, Publications Historiques de l’Est, n°65, CRULH, 2019, p.7-19.
Prochaine visio-conférence : le vendredi 16 avril à 14 h.
Metz aux XVIIe et XVIIIe siècles.