" La civilisation matérielle dans la peinture occidentale du XVIe au XXe siècle ".
C’est avec beaucoup d’enthousiasme que Mr Laurent Commaille, maître de conférences à
l’Université de Lorraine à Metz, a animé la soirée devant une quarantaine de personnes.
L’œuvre picturale peut livrer de multiples informations sur la vie matérielle des générations passées, témoignage précieux dont, de prime abord, on ne mesure pas toujours l’intérêt.
Au Moyen-Age : importance du symbole lié à la religion.
La reproduction des éléments de la vie quotidienne est accidentelle, souvent stylisée. La représentation exacte importe peu. Parchemins et enluminures sont de bonnes sources de renseignements.
« Une bibliothèque dans un manuscrit du XIVe du Roman de Troies de Benoit de St Maure »
Les livres, constitués de feuilles disposées entre deux plaques cartonnées, étaient déposés en petits tas sur les étagères…
Au XIIIe-XIVe siècle : émergence de la bourgeoisie laïque, du pouvoir urbain en Toscane.
Ambrogio Lorenzetti « allégorie du bon gouvernement, effets du bon gouvernement à lacampagne » 1337-1340. Sienne.
Les personnes à la tête de la ville tirent leur pouvoir des biens matériels, de la terre, de l’argent. Les champs, vergers, vignes, jardins entourés de haies … sont bien cultivés. Le transport des marchandises par bâts sur les chemins de montagne, les animaux attelés, les cavaliers, le fauconnier, les personnages en discussion…animent le paysage.
Au XVe-XVIe siècle : grande précision de la peinture flamande.
Elle fourmille de détails tant pour montrer l’intérieur des demeures que la vie à l’extérieur.
Van Eyck « Les époux Arnolfini » 1434.
Témoignant d’une grande richesse : les oranges posées sur le coffre en bois, les vêtements élégants, chapeau en peau de castor, étoffes et fourrures précieuses, miroir vénitien, lustre hollandais, fenêtres de verre blanc…. Coffre, tapis, lit à baldaquin indiquent qu’il s’agit d’une petite chambre, espace privé rare à cette époque.
Pieter Bruegel « La tour de Babel »,détail, 1563.
Travail de construction. quantité de détails sur la vie de chantier, taille des pierres, grues animées par des petits personnages,…
Pieter Bruegel « la fenaison » 1565.
Travail des champs, chariot tiré par chevaux, faux, râteau à foin, des outils quasiment inchangés depuis des siècles !....
Au XVIIe siècle : Les courants religieux (réforme, contre-réforme) occasionnent une rupture dans la représentation matérielle :
Dans les pays catholiques, la civilisation matérielle est écartée. Les représentations mythologiques ou allégoriques magnifient le pouvoir ou la religion.
Rembrandt «la Sainte Famille » 1640.
Le sujet est religieux mais c’est une famille de menuisier, l’homme travaille, son échoppe est ouverte sur la rue, c’est aussi le logement de la famille,.espace commun où l’on cuisine et où l’on dort. Plancher, lit à baldaquin, cheminée ornée indiquent un certain niveau social, le berceau douillet témoigne d’une reconnaissance de la place de l’enfant.
Dans les pays protestants, la représentation de la religion est minorée au profit de glorification du travail, du pouvoir de l’argent, des biens matériels, le tout avec un certain puritanisme religieux.
Pieter de Hooch « Cour d’une maison de Delft » 1658.
Perspective, grande propreté de la cour, revêtement en dalles, couloir brillant, balai de bonne qualité, maîtrise technique : volets avec loquets métalliques, rare à cette époque. Le monde protestant accorde de l’importance aux objets de la vie quotidienne qui contribuent à leur prestance, leur pouvoir.
En France, pays catholique, l’approche est différente : les corps de métiers sont organisés en corporations avec pour les peintres une hiérarchie des genres :
Histoire. (y compris scènes mythologiques, religieuses.)
Portrait
Paysage
Scène de genre
Nature morte.(très peu prisée et valorisée)
Claude Gelée dit Le Lorrain « Ulysse remet Chryséis à son père » 1644. Peinture noble avec une représentation de la vie matérielle très limitée ! (contrairement à la peinture hollandaise.)
Sebastien Le Clerc « la prise de Nimègue » 1672.
Beau sujet historique, mais en marge de la bataille, représentation fouillée de la vie des troupes en campagne. Les soldats se déplacent accompagnés de leur famille, sont entourés de nombreux marchands ambulants, bouchers, cuisiniers, réparateurs de matériel…
Louis le Nain « repas de paysans ».1642.
Les frères Le Nain sont une exception dans la peinture de l’époque. Ils sont liés à l’église St Sulpice à Paris.Ce tableau renseigne sur la façon différente de vivre et de s’habiller selon la position sociale : le laboureur bien chaussé porte chemise blanche, tissu de qualité, son fils joue du violon, l’autre paysan, pieds nus, vêtements très usés…Importance du nombre trois (= trinité) : 3 hommes, 3 enfants, l’épouse renvoie à l ‘image de la Vierge Marie, …La lumière sur le personnage principal qui distribue pain et vin. Message subliminal, c’est un tableau religieux qui ne dit pas son nom !
Au XVIIIe siècle : apparition des objets dans la peinture,sublimés par Chardin.
Cela en devient un genre remarquable.
Jean Siméon Chardin « Jatte de prune avec pêche et pot à eau » détail 1730.
La représentation est si précise que des chercheurs ont retrouvé l’origine de l’aiguière représentée : production chinoise, décor papillon, caractéristique de la « famille verte » produite durant le règne l’empereur Kangxi (1662-1722) !
Jean Siméon Chardin « La fontaine de cuivre »1733.
A cette époque, reproduire un objet si familier ne présente aucun intérêt, pourtant Chardin le valorise picturalement. Le réservoir à eau de la maison utilisé quotidiennement par la famille, est l’objet de tous les soins. Il n’y a pas encore d’eau courante, les porteurs d’eau livrent, remplissent la fontaine... la louche de cuivre, le pot à eau sont des objets auxquels on fait attention.…
François Boucher « Le déjeuner »1740.
Scène d’intérieur de la bourgeoisie aisée : parents et enfants. Nombreux objets participent à la scène et témoignent de ce niveau social : pendule, étagère, théière anglaise, chocolatière, service en porcelaine, table meuble d’appoint, petite fille avec ses jouets : poupée et cheval à roulettes, plancher Versailles au sol, pièces en enfilade (vues dans le miroir)…
Au XIXe siècle : le tube de peinture.
Début du 19ème retour de la peinture héroïque, romantique…la vie quotidienne n’est pas mise en avant. Vers 1850, apparition du tube de peinture qui va permettre aux peintres de sortir des ateliers, d’installer leur chevalet partout et de peindre ce qu’ils voient.
Jean François Millet « le vanneur » 1848.
représentation de la posture réelle du corps en mouvement pour séparer les grains de la paille dans le courant d’air…Informations sur la vie paysanne : tamis, corbeille, sabots, bleu indigo des vêtements….
Courbet « l’atelier du peintre » 1855.
Allégorie, le peintre se place entre les deux mondes…peu d’indices matériels.
C’est chez les peintres considérés comme étant de seconde catégorie que se trouvent souvent de nombreuses informations sur la vie matérielle.
Caillebotte « les raboteurs de parquets » 1875.
Peinture très peu considérée à l’époque ; pourtant importante source d’informations.La couleur, l’aspect décapé ou non des lattes des planchers, les outils, les lambris, la fenêtre, la précision des copeaux, la posture des ouvriers au travail, le vin réconfortant….
François Bonhommé « Forgeage »1865.
Le propriétaire des forges de l ’Indret, lui demande de venir représenter l’activité des forges, le travail des nombreux ouvriers dans les ateliers, les outils, les systèmes de palans pour manipuler les énormes pièces que sont les arbres de bateaux…
Monet « les déchargeurs de charbon » 1875
Pour alimenter la capitale, les coltineurs allaient au charbon…
Léon Delachaux « lingère » 1905.
Monde modeste : machine à coudre, poèle, étagère, aiguière, assiette…
Lionel Walden « les docks de Cardiff » 1894.
Paysage industriel, débuts de l’électricité (signaux lumineux, gros projecteurs), grues à pont, nombreux mâts de bateaux, voies, aiguillages, quais.., tout est très précisément représenté.
Edmond Grandjean « Place Clichy » 1896.
Paysage urbain très vivant : bâtiments de faible élévation, fiacres, bicyclettes, bus à impériale à traction hippomobile.
A la fin du 19ème siècle, la photographie et la gravure d’illustration concurrencent de plus en plus la peinture dans sa représentation de la civilisation matérielle.
La photo est cependant de plus en plus utilisée par les peintres : Degas pour ses danseuses et ses chevaux … (justesse de la position des membres, des postures)
Les magazines illustrés, les journaux s’adjoignent des graveurs de plus en plus spécialisés et efficaces (traits parallèles…).
Au XXe siècle la révolution du pop-art avec Richard Hamilton, les nouveaux réalistes : Arman, Cesar « compression Ricard », Alex Colville… ramènent la civilisation matérielle au cœur de leurs œuvres.
Une autre approche actuelle de la représentation des objets est souvent bien documentée et fidèle dans certaines bandes dessinées. (Hergé : Tintin).
D’autres avec des représentations de civilisations matérielles plausibles nous entraînent par contre dans des mondes complètement imaginaires : F.Schuiten et B.Peeters « les cités obscures ».
Prochaine rencontre avec les Arts 57, le jeudi 9 avril à Longeville les Metz,
"L'oeuvre de François Pompon" par Catherine Bourdieu, Maître de conférences en Histoire de l'Art à l'Université de Metz.
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