Un groupe de 17 personnes a pu découvrir l’exposition « Travail d’Archives », lors d’une visite commentée et guidée au Centre d’art contemporain FAUX MOUVEMENT, rue du Change à Metz
L'exposition explore les processus qui conduisent de l’archive à l’œuvre, c’est-à-dire la manière dont l’archive devient par elle-même opératrice d’ « œuvres ». A partir de l’archive, s’établissent des gestes artistiques adoptant reprises, remplois de documents existants, passages entre réalité et fiction. Objets, films, photographies, enregistrements sonores, deviennent des éléments ouverts à toute forme de révision, formelle ou signifiante. L'archive remontée, transformée, déplacée, échappe à son destin patrimonial, pour refonder une nouvelle actualité.
1 Gérard Collin-Thiébaut | Le mensonge de l'inutilité, depuis 1962, 83 photocopies N/B, format A3courtesy de l'artiste.
Gérard Collin-Thiébaut s’intéresse à l’absurde des collections, il collecte les sacs plastiques, fermetures de tiroirs anciens…
Dans cette œuvre, il tient l'inventaire de toutes les photos ou vidéos qu'il a pu réaliser, au cours de ses expositions, dans son travail ou sa vie privée, photos de son chien, de son jardin… Ce classement exhaustif, qui existe virtuellement chez chacun d'entre nous, ne pourra prendre fin qu'à la dernière image et se constitue de fait comme un work in progress. La nomenclature extrêmement précise, qui rappelle les dates, les conditions techniques, le prétexte de la prise de vues, se constitue comme une base de données, conférant à la photographie ou à la vidéo une autre réalité que celle de l'image. La liste prend son autonomie, elle devient une oeuvre en soi qui peut se passer de son référent.
2 Renaud Auguste-Dormeuil | The Day Before, 2004,
"photographie" de la voûte céleste, impression jet d'encre sur aluminium, 170 x 150 cm courtesy Frac Languedoc-Roussillon.
Renaud Auguste-Dormeuil reconstitue dans une série de grandes images numériques la configuration du ciel à 23h59, la veille de faits de guerre majeurs impliquant des populations civiles tels que Hiroshima, Nagasaki, Dresde ou le bombardement de Bagdad.
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Le ciel impose une temporalité sans durée, une image immuable, qui fait contraste avec la catastrophe que les sous-titres annoncent et dont personne n'ignore les effets. La catastrophe est une interruption brutale au sein d'une continuité, qui ressemble à une fin du monde dans les actes terrifiants rappelés ici. Mais l'image de la tragédie fait défaut ; cette absence conduit à ré-imaginer les événements, confrontés à l'échelle de l'univers.
4 Mikael Levin
Gowanus Canal, 2014, film numérique, 1h29’
Son : Jean-Philippe Antoine courtesy de l'artiste
Le Gowanus Canal est un canal situé à Brooklyn, connu au Etats-Unis comme étant l'une des voies d'eau les plus polluées du pays. Depuis 2009, il est inscrit à un programme fédéral de dépollution dont les premiers travaux devraient commencer en 2016. Ce canal est également un secteur en pleine activité, entre zones industrielles et extensions urbaines. Depuis plusieurs années, Mikael Levin filme régulièrement le lieu et en enregistre les transformations.
Ses prises de vues balayent l'espace par de longs travellings circulaires, toujours placés au même niveau, à partir d'emplacements variables, y compris le canal même en installant la caméra sur un bateau. Reliées par des fondus, les séquences s'enchaînent avec fluidité pour produire une forme de continuité fictive entre des localisations et des moments différents. Gowanus Canal, le film, établit une mémoire du site et se constitue de fait en une archive des constantes mutations du paysage. Ce travail du souvenir s'exerce sur un territoire qui subit une forte pression économique, dont le fonctionnement est soumis à une amnésie permanente, le passé n'offrant aucune valeur productive. L'effet de cette activité, c'est-à-dire la pollution
massive qu'elle génère, apparaît alors, au-delà des images, comme la mémoire refoulée du Gowanus Canal.
5 Stephen Marsden Biblioutil 2, 2004,
vitrine en bois éclairée contenant 108 objets, plâtre, alginate, silicone, plasticine, coton, verre, poils humains, pierre, corail, 164 x 74 x 22 cm
courtesy Frac Languedoc-Roussillon
Biblioutil est une vitrine dans laquelle se côtoient des maquettes, des moulages d'objets ou de parties du corps, des micro-sculptures ou des projets. L'étagère est ici un dispositif d'exposition autonome condensant les positions artistiques de son auteur. Elle s'impose comme un cabinet de curiosités, qui adresse au spectateur, sous une forme miniature, l'image potentielle de la totalité d'une œuvre.
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Stephen Marsden transforme les éléments du quotidien parfois les plus banals en une collection de sculptures réalisées en plâtre, silicone, plasticine ou avec des matériaux récupérés, celles-ci sont laissées dans leur état brut, en blanc ou d'une teinte neutre, ce qui confère une unité à la série tout en l'éloignant des modèles qui l'ont inspirée.
L'ensemble flotte ainsi entre narration et abstraction.
L'étagère n'est pas un répertoire, mais une fiction qui rassemble des œuvres possibles dont on aurait archivé l'esquisse.
6 Alexander Schellow
A - 7 dessins à l'encre sur calque servant à la production du film Ohne Titel (Fragment), 40 x 50 cm, 2011
B - Ohne Titel (Fragment), 2011, film numérique, muet, 4’40’’
courtesy de l'artiste
Ohne Titel est une oeuvre graphique qui passe du dessin au film. Le personnage que l'on y aperçoit est une femme de 92 ans atteinte par la maladie d'Alzheimer, qu’Alexander Schellow a rencontré en 2007 dans une clinique spécialisée de Berlin. Son film, travaillé image par image à partir de dessins à l'encre sur papier calque, restitue de mémoire les
mouvements de son visage.
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Ohne Titel, apparaît comme un travail de remémoration d'une personne n'ayant plus souvenir de rien, instituant par là même la possibilité d'une relation muette au-delà des règles conventionnelles de communication.
Le film projeté ici, Ohne Titel (Fragment), est une installation qui met en évidence le dispositif plastique. Le visage apparaît à travers une trame pointilliste qui le recompose une image après l'autre, mais produit également une animation de la surface, dont l'activité semble engendrer une représentation toujours en danger de dissolution.
7 Didier Bay | Mon Quartier, 1969-71,
10 albums: 915 photographies N/B, 37 textes bilingues anglais-français,
10 x (29,7 x 21 cm) avec vitrine et table. courtesy Frac Bourgogne
Mon quartier est une exploration du quotidien que Didier Bay mène depuis la fenêtre de son appartement. A partir de cette position qui le met à distance et lui permet de surplomber le monde, il photographie au jour le jour les micro-événements qui surviennent, les gens qui passent, connus ou inconnus, l'animation dont il est témoin. Placé en retrait, il va rendre compte du cours de la vie dans un petit fragment de rue, toujours le même, à travers de courtes séquences photographiques. Il restitue cette expérience sous la forme de petits cahiers-classeurs contenant les séries enregistrées, accompagnées de textes tapés à la machine qui rapportent la situation et parfois identifient les passants.
La photographie est ici une écriture visuelle du quotidien s'inscrivant dans le présent, sans effets, ni préméditation. Les faits sont enregistrés, en dehors de toute hiérarchie, mais classés ensuite en fonction de la situation décrite : mon quincaillier, gens connus, les chiens... L'album est un dispositif textuel qui transforme l'expérience de l'image en un récit autobiographique.
Ce regard "autour", qui semble s'attacher aux autres davantage qu'à soi, renvoie pourtant au photographe lui-même et dessine sa propre identité.
Dans l'exposition, les cahiers originaux sont présentés sous vitrine, mais des fac-similés sont offerts à la lecture.
8 Nicolas Pinier | Inventaire des monuments funéraires de la guerre de 1870-71 en Moselle, 2008, série de 12 photographies NB, 40 x 40 cm. Commande du Conseil Général de Moselle. Production Frac Lorraine courtesy de l'artiste
Nicolas Pinier organise un inventaire photographique des monuments funéraires de la guerre de 1870-71 dispersés dans la campagne aux alentours de Metz. Il s'agit à la fois d'une recherche documentaire et d'une remémoration, conférant une visibilité nouvelle à une guerre oubliée.
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Ces édifices sont des tombeaux, des fosses communes, renvoyant le sentiment d'une mort au combat le plus souvent anonyme, très éloignée du répertoriage homme par homme des cimetières de la grande-guerre.
Dans ses prises de vues, Nicolas Pinier exploite un dispositif frontal qui isole la figure dans l'image, et se place à distance, sans effets, pour produire une représentation dépourvue d'affect.
Le protocole photographique, strictement limité au noir et blanc, révèle la singularité de ces formes souvent isolées en plein champ, où elles apparaissent comme des traces de ce qui a été dans un lointain aujourd'hui diffus. La série d'images devient une archive, qui réactive l'histoire d'un territoire et réveille une tragédie dont le souvenir s'est effacé, balayé par les conflits du XXe siècle.
9 Amina Menia | Enclosed, 2013,
installation : photographies, plans, interview, cartes postales, pièces de monnaie, billets de banque, timbres... Documents d'archives reproduits avec l'aimable autorisation de la famille Issiakhem à Alger, l'Indivision Landowski et le Musée des années 30 à Boulogne-Billancourt, France. Produit par le Royal Hibernian Academy, Dublin. courtesy de l'artiste
En 1921, la municipalité d'Alger organise un concours pour la création d'un monument aux morts rendant hommage aux tués de la grande guerre, français et arabes confondus. Plus de 4000 noms devaient pouvoir y être inscrits. Le sculpteur Paul Landowski fit ériger en 1928 en centre-ville une immense sculpture appelée Le pavois devant magnifier les relations, scellées par la guerre, entre les populations des deux rives de la méditerranée.
Peu avant les jeux africains de 1978, le maire d’Alger, soucieux de faire disparaître un signe aussi flagrant du passé colonial, demande à l'artiste algérien M’hamed Issiakhem d'imaginer une transformation du site. Ce dernier n'a pas souhaité détruire ou modifier la sculpture, et décide de l'enfermer dans un sarcophage de béton, qui la change en un bloc massif d'aspect géométrique. L'œuvre devient duale, mais entre ce qui est vu et ce qui demeure caché, l'histoire n'est frappée d'aucune amnésie. Plus tard une faille est apparue sur le béton, provoquant une inquiétude quant à la résistance du matériau. Une controverse est née alors entre ceux qui voulaient détruire l'enveloppe et faire réapparaître l'œuvre de Landowski3, malgré ses connotations historiques, et ceux qui souhaitaient au contraire la conserver.
Amina Menia se considère comme faisant partie de la troisième génération d'artistes algériens ayant à affronter ce monument. Dans Enclosed, elle revient sur cette histoire, scrute la sculpture, les restes, les traces, les failles, et met en relation les deux artistes, revisitant en particulier le travail de M’hamed Issiakhem, artiste défenseur des libertés, fortement engagé dans les questions politiques.
Ce devenir-art des archives, tel qu’il peut apparaître dans le champ de l'art, éveille des approches singulières de la mémoire mais ouvre également à d’autres perceptions du présent.
PROCHAINE RENCONTRE AVEC LES ARTS 57 , le lundi 23 Février à Saulny à 20 H Soirée animée par Monsieur Laurent COMMAILLE, sur le thème de la civilisation matérielle dans la peinture occidentale du 16è au 19è siècle. Participation : 5 euros non-adhérent 3 euros adhérent Contact par mail : lesarts57@hotmail.fr par tél : 0387320503
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