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Edward Hopper, New York Office, (Bureau à New York), 1962.
Cette belle rencontre au Château Fabert de Moulins les Metz, organisée par LesArts57, et présentée par Jean Yves Bègues a réuni environ 80 personnes. Amateur d’art, médecin et élu de la ville, Jean Yves Bègues remercie chaleureusement le public venu en nombre et ses fidèles amis.
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Il propose de partager son intérêt pour « Edward Hopper », peintre américain aux toiles souvent énigmatiques. Figure emblématique de l’art américain, son œuvre reflète la nostalgie, la solitude des classes moyennes dans une Amérique triomphante, et puissante économiquement.
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Edward Hopper nait en 1882 dans la banlieue nord de New York, au bord de l’Hudson dans un cocon familial traditionnel. De souche anglaise et hollandaise, ses parents, établis aux Etats Unis depuis plusieurs générations, tiennent un commerce de mercerie. Dans les années 1900, il se forme au métier d’illustrateur à New York, se perfectionne en graphisme, puis en peinture. Il a pour professeur, entre autres, Robert Henri.
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Ses études terminées en 1906, il part pour un an à Paris, fréquente les expositions, peint en plein air. Il admire Manet et surtout Degas dont il aime l’audace des points de vue et la modernité des sujets (en particulier Le Bureau de coton pour sa mise en scène). Il s’imprègne de culture française, lit Hugo, Zola, aime la poésie de Verlaine ou Rimbaud... Le réalisme de Courbet lui plait beaucoup. Palette réduite, couleurs chaudes pour cet escalier si réaliste. Le motif de l’escalier signifie aussi pour lui le passage d’un état à un autre de l’intérieur vers l’extérieur, du haut vers le bas, et inversement …
Il se rend à Londres, découvre Turner, à Amsterdam, il est impressionné par la Ronde de nuit de Rembrandt. Pendant ses études, sa palette est sombre, basée sur le bleu-gris ou le brun chaud. A Paris, elle s’éclaircit nettement sous l’influence des impressionnistes. Il effectuera encore deux courts séjours en France en 1909 et 1910.
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Notre-Dame de Paris, 1907. --- Pont des Arts, 1907.
Aux Etats Unis, en 1908, Robert Henri prend la tête d’un mouvement contestant l’autorité de la National Academy qui impose des normes et contrôle les expositions et le marché de l’art. Au nom d’une modernité inspirée par les impressionnistes, huit peintres « The Eight », prônent une peinture de la vie quotidienne américaine. A New York, Hopper travaille comme illustrateur dans une agence de publicité. Il considérait cette pratique comme purement alimentaire, et pendant son temps libre, préférait peindre. Nombre de sujets qu’il a conçu dans le cadre de son travail d’illustrateur trouveront un écho dans sa peinture.
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Il vend sa première toile Sailing (Promenade en mer) au grand salon de l’Armory Show en 1913, à New York. Il n’en vendra plus pendant dix ans ! Ses toiles ayant peu de succès, il se tourne alors vers la gravure. Ses eaux fortes sont plus appréciées. Dans une gravure, le contraste lumière-ombre a un rôle capital. Hopper reconnait : « ma peinture sembla se cristalliser quand je me mis à la gravure. »
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Une jeune femme se met au lit, soudain le vent soulève le rideau de la fenêtre ouverte. Surprise, elle arrête son mouvement et tourne la tête. Le visage est caché par la chevelure. Le rideau, gonflé par le vent, placé au centre prend une dimension théâtrale. La surface claire par la fenêtre est en contradiction avec le titre qui évoque l’obscurité. L’impression de lumière éclatante dans l’espace extérieur surprend et interroge.
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En 1924, il épouse Joséphine Nivison, peintre elle aussi. Il se remet à l’aquarelle, peint des paysages ruraux et urbains. Il aime l’architecture, les bateaux. Il voyage beaucoup en train, représente des vues dans et depuis le train. Après le succès de ses gravures, Hopper a acquis une Dodge en 1927. Avec Jo, ils sillonnent les routes aux Etats Unis et réalisent de nombreux croquis depuis la voiture. Les Hopper vivent la moitié de l’année à New-York, le reste du temps, au sud de Boston, à South Truro dans le Massachusetts, près de la baie de Cap Cod.
Cove at Ogunquint, 1914. -- Cape Ann granite, 1928 -- The-Lighthouse-at-Two-Lights, (Le Phare de Two-Lights), 1929. -- Corn Hill Truro, Cape Cod, 1930. -- Prospect Street Gloucester, 1928, aquarelle -- Road and Houses, South Truro, Route et maisons South Truro, 1930-33.
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Cet étrange tableau, exposé dès l’année de sa création, est immédiatement un succès artistique et commercial. Une sensation vaguement angoissante émane de cette demeure victorienne, qui se dresse au-dessus du chemin de fer. La lumière du soleil inonde la façade et projette des ombres profondes sur le mur de côté. La base de la maison ainsi que les portes sont invisibles, pas de végétaux, aucune présence humaine et pourtant la maison semble humanisée, les fenêtres aux stores plus ou moins baissés animent cette façade et évoquent des yeux. Les cheminées orange la dynamisent …
« Tout oppose l’espace de la maison et celui des rails : les lignes bien verticales de la maison et celles presque horizontales des rails mais aussi des tonalités entre les couleurs froides utilisées pour la maison et les couleurs chaudes de la voie ferrée. Le peintre oppose également l’élément immobile qu’est la maison avec la représentation des rails qui suggèrent la possibilité d’un déplacement, d’un mouvement. Il fait ici le portrait d’une maison qui s’impose par sa simplicité et son isolement. Hopper se montre nostalgique face à une Amérique où la modernité est venue détruire la nature. Pourtant, […] on peut penser que la voie ferrée apporte aussi le progrès, au premier plan elle semble la base d’une nouvelle fondation pour la société américaine. Le chemin de fer a eu une grande importance dans la construction de l’Amérique, permettant l’expansion vers l’ouest et la transformation industrielle. C’est tout le paradoxe de l’histoire de l’Amérique, tiraillée entre la glorification du progrès et la nostalgie des grands espaces sauvages, que ce même progrès contribue à faire disparaître. »
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L’atmosphère étrange de cette toile, le cadrage resserré proche des procédés employés au cinéma ont inspiré Alfred Hitchcock. En réutilisant le jeu des lignes verticales et horizontales de la maison et du motel, il en a fait le modèle du manoir effrayant habité par l’inquiétant Norman Bates, interprété par Anthony Perkins, dans Psychose en 1960.
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Dans un intérieur urbain, une jeune femme assise est concentrée sur son ouvrage devant une machine à coudre. Face à elle, une fenêtre laisse entrer la lumière d'une belle journée ensoleillée. Les rayons pénètrent puissamment dans l'intérieur, se projetant sur le mur, l’ouvrage et la robe blanche. Ses cheveux longs cachent en grande partie le visage. Composition bien construite entre les verticales de la fenêtre et de la coiffeuse et les diagonales parallèles des rayons lumineux, de la chevelure et de l’avant-bras de la jeune femme. Ce tableau rappelle des scènes d’intérieur de la peinture hollandaise. Sous la simplicité apparente de cette scène quotidienne, le tableau livre des détails intéressants : mobilier intérieur, flacon, petit cadre, briques jaunes encadrant la fenêtre sur la façade à l’extérieur, …
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Deux femmes sont assises à la table d’un restaurant. Couleurs vives et éclairage intense par la fenêtre. L’enseigne du restaurant chinois est visible à l’extérieur. Ce tableau rappelle les scènes de café de Van Gogh et Manet réactualisées dans le contexte américain. Pulls moulants, chapeaux cloche et visage maquillé, ces deux femmes à la mode, dînant seules dans un restaurant, témoignent d’une certaine indépendance. Dans les années 1920, la montée du féminisme fait évoluer la société américaine. Par les formes géométriques, la composition rigoureuse, il se dégage une impression d’étrange tranquillité. Chacune des femmes semble plongée dans ses pensées, le couple à l'arrière-plan semble tout aussi peu communicatif.
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Une femme élégante, vêtue d'une robe de couleur prune lit un magazine dans le compartiment d'un train. L’intérieur est entièrement vert, l'appuie-tête blanc, sa base violacée. Par la fenêtre un paysage nocturne, les arches d’un pont blanchâtre. La palette de couleur est réduite, les différentes teintes vertes, somptueuses, les blancs de la lampe, du magazine, et les noirs, sont réchauffés par les détails orangés du soleil couchant, de la chevelure, du visage et des jambes de Jo, toujours son unique modèle féminin. Les grands aplats de couleur simplifie à la fois l'intérieur du compartiment ainsi que les éléments naturels à l'extérieur, lisière d'arbres, talus et pont de chemin de fer. Les traits de la jeune femme à peine esquissés et cachés en partie par le chapeau en font un personnage universel de voyageuse solitaire.
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Grâce à l’angle de vue choisi, à la construction géométrique de la scène représentée, à la vivacité des couleurs, à l’éclairage marqué, et à l’importance des ombres, Hopper rend extraordinaires des endroits pourtant communs (théâtre, restaurant, bar …). Les figures humaines, quant à elles, sont représentées plongées dans leurs pensées, dans leur lecture.
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Alors que le soir tombe, un homme s’affaire à une pompe. La station essence Mobilgas très éclairée est située au bord d’une route, à la lisière d’une forêt. A droite du tableau, la modernité : pompe, éclairage électrique puissant, s’oppose à la nature à gauche : forêt de pins verts, d’herbes jaunes et rougeâtres, et lumière du crépuscule. Séparant les deux mondes, la route de campagne déserte s’enfonce dans la forêt. Au milieu du tableau, les pompes rouges sont dressées, lumineuses, presque anthropomorphes. Elles sont des éléments indispensables pour l’automobile, qui devient symbole de « l’American Way of life », le mode de vie américain de ces années prospères. Elles sont entretenues par un homme solitaire en chemise, cravate, il tourne le dos à la nature et semble « happé » par la machine et le progrès.
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Dans cette œuvre, certainement la plus célèbre, Hopper illustre la solitude dans la vie urbaine. Remarquable composition encore, ce bar transparent, très éclairé, situé au croisement de rues sombres, permet de voir à la fois l’extérieur et l’intérieur. Vue de face, la jeune femme rousse est sans doute Jo, son épouse qui servait toujours de modèle. Son voisin, costume sombre, chemise bleue, chapeau gris, tient une cigarette en mains. Le serveur avec sa toque blanche observe l’homme de dos au centre, accoudé au bar, à l’allure énigmatique. Isolées de l’extérieur, les personnes le sont aussi à l’intérieur les unes par rapport aux autres. Derrière la sobriété apparente de ce tableau, se cache une réelle complexité dans la représentation de la paroi transparente du bar et un grand soin du détail : la caisse enregistreuse dans la boutique vide en face, les tabourets, les verres sur le bar, les percolateurs, la porte orange, … La fascination pour cette toile est réelle et de nombreux artistes se la sont appropriée pour la revisiter, remplacer les personnages par Marilyn, James Dean…
Eleven, A.M., 1926. --- Sunday (Dimanche) 1926. --- Hotel Room, (Chambre d’hôtel), 1931. --- Morning in a City, 1944. --- Morning Sun, 1952. –
Isolement de l’homme assis au bord de la rue déserte un dimanche matin, solitude de la jeune femme songeuse face à une fenêtre dans un intérieur sobre (chambre d’hôtel ?), face à l’image, chacun peut construire son propre récit… L’éclairage intense partout accentue encore l’impression de silence. Les fenêtres créent les passages intérieur-extérieur. Le modèle est, comme toujours, Joséphine, son épouse. Malgré des traits souvent à peine esquissés, le passage du temps est perceptible sur le corps de Jo.
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Dans Eté, réalisé en 1943, il reprend les éléments d’architecture de Trottoirs new-yorkais peint en 1924. Pourquoi cette bonne sœur court-elle avec un bébé dans une poussette ? Dans Eté, la jeune femme attend sur la première marche de l’escalier. Placée au centre, sa chevelure rousse, la transparence de sa robe, la carnation de sa peau contraste avec cette architecture rigide, austère et grise du perron à colonnes, typique des grandes villes américaines. Le rideau qui bouge fait écho à la robe légère. Elle est belle, élégante, et son personnage introduit la vie dans cet environnement à la fois ensoleillé et désert. Comme dans la plupart de ses tableaux, chacun peut imaginer librement l 'histoire.
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Dans Chambre à New York, par la fenêtre ouverte, on voit à l’intérieur de la pièce, un couple dans un salon bourgeois. L’homme lit le journal, la femme joue quelques notes au piano, plongée dans ses pensées. Leurs visages à peine esquissés, sont sommairement modelés par la lumière artificielle venant d’en haut. Dans Soir d’été, nous assistons à cette scène intime du jeune couple, ... Hopper transforme le spectateur, en voyeur parfois même en « l’incluant » dans l’espace comme dans la cafétéria où ces deux inconnus semblent dissimuler subtilement leur intérêt l’un pour l’autre.
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Au travail comme dans les loisirs, les lieux sont épurés, les angles de vue singuliers, peints avec des grands aplats de couleur. Au fil du temps, la tenue vestimentaire des personnages, plus particulièrement féminins, permet de suivre l’évolution de la mode. Tel un mannequin dans une vitrine, la jeune femme en robe bleue, mise en valeur par l’éclairage, regarde intensément une enveloppe. Un téléphone est placé devant elle. Elle nous fait face. C’est comme si nous l’observions de la rue, par effraction, en étant de l’autre côté du trottoir sans avoir accès à son univers. Dans les grandes villes, les univers peuvent coexister tout en restant isolés l’un de l’autre sans pouvoir communiquer.
Les tableaux paraissent réalistes mais les œuvres d’Hopper sont des reconstructions, des recompositions de souvenirs, d’aperçus fugaces d’intérieurs éclairés lors de voyage en train ou de promenades dans la ville la nuit, des mises en scènes, des synthèses d’impressions … Il élimine les détails inutiles, suggère subtilement…
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Hopper épure de plus en plus ses tableaux, jusqu’à les réduire au strict minimum pour exprimer son profond ressenti. Le tableau représente un coin de pièce baigné de lumière, au bord de l’océan. A gauche, une autre ouverture laisse entrevoir la pièce voisine, son tapis vert, un canapé rouge, un tableau accroché sur le mur du fond, éclairé aussi par les rayons du soleil. Intrigantes limites entre intérieur et extérieur, entre la pièce fermée et le paysage marin infini, entre réalité et imagination…
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Cinq touristes prennent le soleil sur la terrasse d’un hôtel et contemplent un champ de blé et des collines lointaines. Quatre personnages, alignés en décalé, sont habillés et n’offrent que leurs visages au soleil. La lumière est forte, les ombres longues. Poses statiques sur leurs transats, les différentes personnes regardent au loin, impassibles. Le cinquième personnage, un jeune homme, assis à l’arrière est plongé dans sa lecture, indifférent à son environnement. Scène qui parait familière et qui, pourtant, ne se situe nulle part en particulier. Ce paysage, qui évoque l’ouest américain, ressemble à un décor de cinéma.
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Dernier tableau peint par Hopper, il se représente en Pierrot, tirant sa révérence avec Colombine, sur une scène de théâtre. Costumes blancs éclatants sur un fond bleu nuit. Ils savent tous les deux qu'ils sont à la fin de leur carrière, mais aussi de leur vie. Représentation émouvante mais pas triste, geste gracieux envers Jo, qu’il tient par la main, elle-même esquissant un geste pour le faire saluer.
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Hopper décède en 1967 à 85 ans, Joséphine, 10 mois plus tard.
Un grand merci à Jean Yves Bègue de nous avoir replongé dans l’univers fascinant d’Edward Hopper.
Prochaines rencontres avec Les Arts 57 :
Visite guidée de l’exposition :
"Voir le temps en couleur, les défis de la photographie »
à Pompidou, groupe complet.
Conférence : jeudi 17 octobre, au Temple de Longeville
« Banksy, artiste d’art urbain »
Soirée présentée par Catherine Bourdieu.
Réservation obligatoire par mail ou tel.
lesarts57@gmail.fr ou tél. 03 87 32 05 03