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31 mai 2024 5 31 /05 /mai /2024 15:47

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« Image du film La sortie de l’usine Lumière à Lyon ». Photogramme de Louis Lumière, 1895.

 

C’est la troisième rencontre organisée par LesArts57 dans le cadre de l’anniversaire des 150 ans de l’impressionnisme, cette fois sur les liens avec le cinéma, et présentée par Caroline RENOUARD. Dans cette belle salle de Lorry, Martine accueille la quarantaine de participants et nous présente Mme Renouard, Maîtresse de conférences en études cinématographiques à l'Université de Lorraine, spécialisée en esthétique, histoire du cinéma, effets spéciaux, …

Quelques temps après la conférence « Cinéma et impressionnisme », le 16 mai à Lorry les Metz.

Pour approcher le cinéma impressionniste, ce courant avant-gardiste du cinéma français muet des années 20, et comprendre les origines du cinéma, il est nécessaire de se replonger dans le contexte et l’ambiance de l’époque. Entre 1880 et 1890, période très riche en expérimentations pour créer des vues animées, de nombreux brevets de dispositifs visuels sont déposés, mais ce sont les frères Louis et Auguste Lumière qui imposent un modèle efficace : le cinématographe, machine révolutionnaire, en 1895.

Capturer la lumière, saisir l’instant fugace, suggérer le mouvement était aussi une préoccupation majeure des peintres et photographes depuis le milieu du 19e siècle.

Claude Monet, Extrait série sur la gare Saint-Lazare, 1877.

Claude Monet, Extrait série sur la gare Saint-Lazare, 1877.

Monet, en plantant son chevalet sur les quais, dans la gare Saint-Lazare, matérialise sur la toile les effets atmosphériques, la sensation éphémère qu’il perçoit. Le mouvement des locomotives qui arrivent, rejetant des nuages de vapeur, on ressent toute l’activité de la gare.

 

Avant lui, Turner en Angleterre avait aussi choisi de représenter le train. Effets de perspective, flou, … la vitesse de la locomotive est déjà perceptible. Symbole de modernité en harmonie avec le paysage, le train relie ville et campagne, ère industrielle et ruralité traditionnelle.

 

William Turner, Pluie, vapeur, et vitesse, 1844, National Gallery, Londres.

A Etretat, ou devant la cathédrale de Rouen, Monet fixe son cadrage. Sur différentes toiles, du même point de vue, il cherche à représenter les changements de lumière au cours de la journée, des saisons, il pose rapidement sa peinture par petits paquets colorés. Les vibrations obtenues semblent rendre la peinture vivante.

Claude Monet, Extrait série sur les falaises d’Etretat (1883-1886).

La succession des images dans ses séries, donnent l’illusion du temps qui s’écoule sur une journée, sur les saisons… Leur multiplicité, l’enchainement des vues, permet de comprendre l’accélération du temps et prépare déjà le regard à la mise en mouvement d’images.

Claude Monet, Extrait série sur la cathédrale de Rouen (1892-1894).

Les photographes vont, eux aussi, essayer de capturer le mouvement image par image. C’est l’Américain Eadweard Muybridge qui invente la chronophotographie, procédé, repris et amélioré par le Français Jules Marey. En 1878, Muybridge dispose 24 appareils avec opérateurs le long d’une piste équestre et réussit à obtenir les clichés d’un cheval au galop.

Quelques temps après la conférence « Cinéma et impressionnisme », le 16 mai à Lorry les Metz.
Théodore Géricault, Le Derby d’Epsom, 1821, Louvre.

 

Il confirme qu’il n’y a pas décollage des quatre fers lors des phases d’extension du cheval au galop (le décollage intervient, en fait, lors de la phase de regroupement), ce qui montre la conception erronée de la représentation du galop dans certains tableaux.

Marey, physiologiste passionné par la locomotion humaine et animale, simplifie le dispositif en un seul appareil, le fusil photographique en 1882. Il permet de linéariser sur une même plaque le déplacement du sujet, il saisit, par exemple, l’oiseau en plein vol à 12 images par seconde. Ces inventeurs permettent de décomposer le mouvement image par image mais aussi à l’inverse de le recomposer ! c’est le pré-cinéma, ils ont inventé les prémices de la caméra. Meissonnier, impressionné par la démonstration de Muybridge, aurait modifié certaines de ses scènes historiques. Degas, s’inspira de Marey pour peindre les danseuses dans différentes positions avec des gestes plus spontanés et justes. 

En cette fin de 19e, peinture, sculpture, et photographie ont sensibilisé le regard du spectateur et l’ont préparé à l’analyse.

Un des premiers à inventer une machine pour visualiser les images animées est l’américain Thomas Edison dans les années 1888-1890. Le kinétoscope se présente sous la forme d’une boite dans laquelle se déroule une petite scène de quelques secondes pour 1 seul spectateur.  Il remporte un grand succès dans les grandes villes américaines en montrant des petits films de quelques secondes, Buffalo Bill, des matchs de boxe par exemple. Sur des machines alignées, les films sont montrés en épisodes nécessitant la mise d’un sou pour chaque séquence !

Auguste et Louis Lumière.

 

À Paris, à l’automne 1894, Antoine Lumière est émerveillé par le Kinétoscope d’Edison. De retour à Lyon, il demande à ses fils, Louis et Auguste, de se consacrer à l’étude d’un dispositif pour en faire un spectacle plus collectif. En s’inspirant de la « lanterne magique », les frères fabriquent le cinématographe, appareil qui est à la fois caméra de prise de vue et projecteur de cinéma. Il fait avancer le film perforé comme dans une machine à coudre à 16 images par seconde grâce à une manivelle. Plus léger que le kinétoscope individuel d’Edison, il est portable et permet aux opérateurs de filmer sur le vif, hors des studios tout comme les peintres impressionnistes hors des ateliers.

 

 

Le premier film tourné est La Sortie de l'usine Lumière à Lyon. Après quelques représentations privées, le 28 décembre 1895, ils organisent à Paris au Grand café, bd des capucines, la première projection publique payante (PPPP) devant une trentaine de personnes dont Georges Méliès.

Cette séance comporte 10 petits films dont Le Repas de bébé. D’abord une image fixe, puis l’appareil se met en marche avec le bruit du projecteur. Si les spectateurs regardent, fascinés, cette simple scène familiale où la vie s’anime devant eux, tous les regards sont abasourdis par l’arrière-plan où s’est invité, par hasard, un vent qui fait vigoureusement bouger le feuillage des arbres !

Le Repas de bébé, 1895.

« quelque chose semble échapper [au] beau souci de composition [de Louis] : le vent … fait danser les plantes et les arbustes derrière Auguste et Marguerite … le couple et leur enfant devaient être les seuls objets d’attention dans cette composition ; le mouvement de l’image devait être celui des « sujets » au premier plan, aux gestes convenus, mesurés, qui devaient eux-mêmes être les agents de la révélation d’un autre mouvement : celui de la technique de défilement mise au point par les deux frères lyonnais. Mais le vent en a décidé autrement. » Benjamin Thomas, L’attrait du vent, 2016.

Les références à la peinture impressionniste dans les films Lumière sont nombreuses, le choix des sujets, la danse des enfants (film renoirien), les enfants qui plongent sur le ponton et deviennent hors champs. Ils cherchent à proposer une impression de réel, de simplicité et fragilité de la vérité. Contrairement à Edison qui tourne dans les studios de la Black Maria et met du temps à réaliser les films, les opérateurs Lumière vont sur site et saisissent des images éphémères, fugaces, surgies du hasard. Ils explorent le monde du travail, des loisirs, les progrès industriels… 

 

Les voyageurs attendent sur le quai, la locomotive apparaît et semble foncer vers le spectateur, puis file à gauche au premier plan, et sort du cadre. Le train s’arrête. Les voyageurs se dirigent vers les wagons. La foule qui en descend remplit le quai, une femme au chapeau traverse l’écran … le cadrage est fixe, les personnages par leurs déplacements indiquent la profondeur de champs.

L’ Arrivée du train en gare de la Ciotat, 1896-1897.

« Le bord [du cadre] est ce qui limite l’image, ce qui la contient, … le coup de génie ici est d’avoir au contraire laissé l’image déborder : la locomotive, les figurants transgressent cette limite (la transgressent, … ne l’abolissent pas). … c’est grâce à cette activité aux bords de l’image que l’espace semble se transformer incessamment. » Jacques Aumont, à propos de L’ Arrivée du train en gare de la Ciotat. L'Œil interminable : cinéma et peinture [1989], éditions La Différence, 2007 (2e édition). Chapitre "Lumière, le dernier peintre impressionniste", p.40.

La composition des séquences était organisée, leur mise en scène précise : lors de la sortie d’usine les ouvriers semblaient endimanchés, dans une autre séquence, le bébé ne veut pas attraper les poissons dans le bocal malgré l’insistance d’Auguste qui finit par jeter un œil contrit et complice à la caméra, les forgerons ne portent pas leur tablier de travail, lors de l’arrivée du train, Mme Lumière fait partie des figurants et refait un passage ! les personnages s’activent, se savent filmés. Et autre hasard, de la fumée s’échappe sur le quai voisin, une autre locomotive démarre, saisie par la caméra !

Gustave Caillebotte, Le Pont de l’Europe, 1876. – Sur le Pont de l’Europe, 1877.

Gustave Caillebotte, Le Pont de l’Europe, 1876. – Sur le Pont de l’Europe, 1877.

La similitude avec les tableaux de Caillebotte est étonnante, son travail de perspective, les allers-retours du regard sur la toile, la question du cadre, de la place du hors champs, de l’avant champs. L’intensité de la vie urbaine le passionne, il nous inclut dans le tableau. Le passant s’arrête pour observer, penché sur la balustrade.

Autre point de convergence entre Caillebotte et les frères Lumière : la représentation du prolétariat urbain, plutôt une étude documentaire précise sur les gestes, les outils des raboteurs de plancher, des forgerons, ou des ouvriers réparant le bitume du trottoir.

Gustave Caillebotte, Les Raboteurs de parquet, 1875. – 1876.
Gustave Caillebotte, Les Raboteurs de parquet, 1875. – 1876.

Gustave Caillebotte, Les Raboteurs de parquet, 1875. – 1876.

Que ce soit Caillebotte derrière son chevalet ou l’opérateur Lumière derrière sa caméra, tous deux ont un regard valorisant les petites gens, leur dur labeur. Ils établissent un pont entre la science et l’art, l'exactitude et la rêverie poétique, l' utilité scientifique et l'esthétique !

 

L’impressionnisme, un courant cinématographique des années 1920 en France.  

En 1920 le cinéma en France est mis à mal, il n’existe plus personne pour faire des films. Les Etats-Unis inondent le marché de films hollywoodiens : Charlot…   Les cinéphiles essaient de se positionner par une nouvelle esthétique différente des films hollywoodiens et différente des expressionnistes allemands. Ce mouvement d’avant-garde se déploie de 1923 jusqu’à l’avènement du cinéma parlant vers 1928-29. Ce courant est ainsi nommé impressionnisme par opposition au courant expressionniste allemand. C’est le moment où le cinéma a l’ambition de se développer artistiquement et de passer du statut de média à celui d’art. Méliès parle de son art en 1907. D’abord considéré comme le 6ème art, la formule du 7ème art apparait en 1919. Ce cinéma cherche à utiliser une nouvelle grammaire cinématographique pour rentrer à l’intérieur de la psyché, rendre compte des impressions intérieures, des souvenirs, des rêves.

« La Roue », Abel Gance, 1923.

« La Roue », Abel Gance, 1923.

« La Roue », mélodrame d' Abel Gance,  met en scène un conducteur de locomotive, torturé psychologiquement. Le bébé qu’il a recueilli est devenu une jeune femme dont il tombe amoureux tout comme son fils et son patron. Il est si perturbé qu’il veut provoquer le déraillement du train. Le spectateur est embarqué dans cette course folle du train par les prises de vues accélérées, les séquences mécaniques où la machine et la roue deviennent obsédantes, les plans de plus en plus courts, de plus en plus déstructurés. Abel Gance introduit dans son film de nombreuses innovations techniques : surimpressions, accélération de l'image, coupes rapides, et donne beaucoup d’importance au montage et à la musique.

Explorer l’âme humaine est révolutionnaire dans les années 1920.  (Hitchcock le fera plus tard). « Une autre période s’est ouverte, celle du cinéma psychologique et impressionniste » qui visualise le « jeu des pensées et des sensations » selon Germaine Dulac.  Les films impressionnistes se détachent du narratif, du théâtral, deviennent poétiques. Germaine Dulac, seule femme cinéaste, recherche un cinéma pur, se libère du scénario, veut explorer les sensations visuelles (comme Monet dans ses nymphéas).

Cœur fidèle, Jean Epstein, 1923 – Le Lion des Mogols, Jean Epstein, 1924.

Cœur fidèle, Jean Epstein, 1923 – Le Lion des Mogols, Jean Epstein, 1924.

Jean Epstein, cinéaste, revendique, lui, le lien au pictorialisme. Dans ses films il travaille sur les substances, rend des images grumeleuses sur les visages, les paysages… Il introduit des effets visuels (flous, surimpressions…), joue sur les panoramiques, les gros plans, le montage rapide. Fasciné par les voitures et par l'ivresse que procure la vitesse, le film Le lion des Mogols montre une spectaculaire séquence de course folle en automobile sur les grands boulevards parisiens, illustrant la douleur et la folie du personnage.

« Pour Jean Epstein, l’essentiel du cinéma est ce mystère de la captation de l’image … l’objectif du cinéma … permet … à la faveur du montage … d’atteindre à un relief qui est celui des quatre dimensions » Henri Langlois.

 

 

Conférence passionnante, et bien servie par l'équipement technique de la salle,  Me Renouard nous a permis de découvrir les prémices de ce 7 ème art qui s’inscrit dans la continuité de la peinture impressionniste, de la photographie pictorialiste, et poussant toujours plus loin la captation de la lumière, du mouvement et l’exploration des sensations en alliant technique et esthétique.   C.C.

 

R​éférences documentaires des captures d'écran : 

L-'Œil, le Pinceau et le Cinématographe : naissance d'un art. Documentaire réalisé par Stefan Cornic, coproduit par ARTE France, Beall Productions, Musée d’Orsay et de l’Orangerie. France, 2021, 53 minutes.

Contexte de réalisation et de diffusion du documentaire : Exposition du musée d'Orsay "Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907)", du 28 septembre 2021 au 16 janvier 2022 (commissaires d'exposition : Paul Perrin, Dominique Païni et Marie Robert).

- Lumière ! L'aventure commence. Documentaire réalisé et commenté par Thierry Frémaux, coproduit par Centre national de la Cinématographie, Thierry Frémaux, Bertrand Tavernier, Maelle Arnaud, France, 2017, 90 minutes. 

Prochaine rencontre avec Les Arts 57 :

Jeudi 13 Juin à 20 h,

au Château Fabert, à MOULINS LES METZ.

« Edward Hopper »

Soirée présentée par M. Jean-Yves BEGUE.

Réservation obligatoire par mail ou par tél.

 lesarts57@gmail.fr   ou tél.   03 87 32 05 03 

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