Présentée par Kelem Coll, cette soirée organisée par LesArts57, a réuni une trentaine de personnes ce jeudi 22 mai à l’espace Philippe de Vigneulles de Lorry. Guide conférencier et chargé de médiation et de programmation jeune public au Centre Pompidou-Metz, Kelem Coll va nous inviter à nous poser des questions sur le statut d’artiste, est ce celui qui fait ou celui qui imagine ? et sur la frontière entre artiste et marque …
1. Entre art et marque, une frontière de moins en moins facile à percevoir.
Par exemple, lors de la mort de Ben, en2024, les gens le connaissaient plus souvent pour ses trousses que pour son travail artistique. Est-ce que Ben n’est pas devenu une marque ?
2. Un processus pas si nouveau.
3. Ce qu’on attend de l’art et de l’artiste.
Les attentes sont variées selon que la question est posée à des scolaires, des personnes de toutes conditions …
5 exemples significatifs.
Sculpteur et D.J, né en 1966, cet artiste pluridisciplinaire, ami des politiques, évolue dans le show-biz. Il est surmédiatisé dans la presse people mais jamais dans les magazines d’art ! Il sait se vendre, place ses sculptures dans les endroits stratégiques des villes (nombreuses à Nice), stations balnéaires la côte d’azur, stations de ski huppées (Courchevel), Disneyland, en offre aux personnalités… mais les musées ne l’exposent pas. L’’esthétique simple de ses sculptures en résine colorée est efficace : gorille, dinosaure, crocodile. Mais cet artiste pose question car ces animaux à facettes, d’une qualité un peu discutable, semblent bien inspirés du designer Xavier Veilhan dont le Lion est bien connu, ainsi que le très beau Carrosse violet longtemps installé sur l’esplanade à Metz.
Surmédiatisé, Orlinski a un monopole sur le milieu de l’art dans les villes qui dépensent beaucoup d’argent pour ce style de sculptures. Il a trouvé un filon et les produit en de nombreux exemplaires. C’est le cas qui se rapproche le plus d’une marque. Est-ce que le terme d’artiste correspond encore à Orlinsky ? Ce qui pose question, c’est le statut d’artiste à vie lorsqu’il devient plutôt une marque, un produit.
Né en 1955 à New York, cet ancien courtier n’a jamais touché aucune de ses œuvres mais il est à la tête d’une entreprise de 100 personnes. Symbole de l’art capitaliste, il a le statut d’artiste et de chef d’entreprise. Très contesté, cependant à la différence d’Orlinski, ses œuvres sont omniprésentes dans les musées contemporains qui les programment pour attirer un autre type de public.
Le processus de création et le statut d’artiste sont discutables, il a bien compris la notion de buzz et de rentabilité. Il remixe de nombreuses fois le produit qui marche, mais on peut déplorer une absence de renouvellement dans son travail. Il collabore avec H&M, Lady Gaga, … transpose partout ses motifs, processus identique à celui d’une marque. Il s’est fait connaitre par des photos avec sa femme, actrice pornographique.
Ben.
Benjamin Vautier est né en 1935 à Naples et décédé en 2024 à Nice où il est venu s’installer. Artiste rebelle, performatif, il veut marquer le monde, délivre des messages souvent philosophiques posant beaucoup de questions. Une immense exposition lui a été consacrée à Nice en 2023-24.
Il encadre et signe Nice tout comme Yves Klein signait un morceau de ciel en sautant puis vendait la photo du morceau de ciel signé. Il a aussi réalisé des performances, certaines l’ont poussé dans ses retranchements : relier Cannes à Nice en courant, et en arrivant vomir sur une toile pour transcrire sa souffrance !
Très connu pour ses produits dérivés, cette idée simple de l’écriture blanche sur fond noir, il est aussi devenu une marque qui lui a permis de vivre de son art.
Entrepreneur, sa fille gère les affaires, il a cependant gardé son âme d’artiste, capable de parler des heures durant dans une exposition ou une galerie. Partout dans la ville de Nice, aux arrêts de tram, sur les ronds-points, on retrouve son écriture si reconnaissable.
Né à Padoue, cet artiste italien, de réputation mondiale, est le symbole d’une certaine rébellion. Surnommé l’enfant terrible de l’art contemporain, Maurizio Cattelan, est aussi un « héritier » du ready-made qu’il utilise avec une imagination débordante souvent provocatrice qui pose beaucoup de questions.
Il se réapproprie non seulement des objets du quotidien mais aussi des gens, lui notamment, dans une œuvre composée d’une cinquantaine de petits visages, versions différentes de lui-même ! Il ne fabrique rien. Il a des idées improbables, perturbantes mais toujours intéressantes. Il se veut anti-système mais il s’en sert : il est présent à la galerie Perrotin, qui vend et met en valeur les artistes !
L’œuvre Nona Ora , où le pape est écrasé par une météorite a fait sa réputation : a-t-on le droit de faire cela ? Est-ce que c’est bien de faire cela ? Il interroge, perturbe avec des images étranges, choquantes comme HIM, Hitler à genoux, veut-il se faire pardonner ?...
Ses œuvres sont toujours bien réalisées, belles à voir, il en a l’idée mais les fait fabriquer. Changeant un détail, des dimensions, il transforme des choses ordinaires en qq chose d’extraordinaire : Felix, le squelette d’un chat à la taille d’un dinosaure !!! Recréer techniquement le squelette géant du chat est une prouesse.
Qui est l’artiste ? celui qui conçoit ou celui qui fabrique ? Le tribunal de Paris a apporté une réponse au procès Cattelan-Druet en 2022. Elle fait jurisprudence sur la paternité d’une œuvre. Daniel Druet, exécuteur de 8 sculptures en cire commandées par Maurizio Cattelan pour le musée Grévin, l’avait poursuivi en justice réclamant des droits de propriété intellectuelle ainsi qu’un dédommagement. Le tribunal a rejeté sa requête. Pour les juges, c’est bien Cattelan l’auteur des œuvres, il est l’artiste qui a eu l’idée, Druet en est l’artisan.
Mondialement connu pour ses œuvres engagées, cet artiste de street art, est né à Bristol en 1974. Il entretient un grand mystère autour de son identité. Avec une imagerie assez simple, ses œuvres au pochoir touchent un maximum de personnes. Mais est-il réellement engagé ou très fort en communication ?
Son mythe est construit de toute pièce : dans un reportage, sa trace est perdue, puis retrouvée, un peu mal filmée, il est interviewé. Le film est captivant mais au final il est produit par … un mystérieux studio Banksy !!!
Combat engagé ou une certaine démagogie ? Ses œuvres livrent des messages sur lesquels tout le monde est d’accord ! Le bouquet sur un mur entre Palestine et Israël, message fort et intéressant, vouloir la paix entre les deux est un souhait universel.
Ses représentations simples et très parlantes sont proches de spots publicitaires. Lors de la vente très médiatisée d’une reproduction de la petite fille au ballon-cœur, la toile s’autodétruit (à moitié) au coup de marteau !!! Hyper malin dans sa communication. Est-ce le propre d’un artiste ou le propre d’une marque ?
En conclusion,
Conférence passionnante, interactive et subjective de Kelem Coll qui a suscité de nombreuses questions dans l’assemblée. Qu’est une œuvre art ? Est-ce que l’IA peut réaliser une œuvre d’art ? Vaste question, mais Kelem apporte une réponse : l’œuvre d’art naît de l’intention de créer une œuvre d’art. Un dessin, une peinture, une musique ne peut pas être œuvre d’art tant qu’il n’y a pas cette intention. Pour Duchamps, c’est le visiteur qui fait l’œuvre : si personne ne la regarde ce n’est pas une œuvre d’art. La banane de Cattelan repose sur la renommée antérieure de l’artiste, si ce n’est pas lui, la banane ne vaut rien ! pour certains c’est une œuvre d’art car il avait l’intention d’en faire une, pour d’autres c’est une escroquerie !
Kelem Coll attend d’une œuvre d’art qu’elle touche le spectateur, qu’elle provoque une émotion.
Prochaine rencontre avec Les Arts 57 :
Jeudi 26 juin à Moulins les Metz, au Château Fabert, à 20h.
« A quoi rêvent les peintres ? »
Conférence présentée par Jean -Yves Bègue.
Réservation obligatoire par mail ou par tél :
lesarts57@gmail.com ou tél. 03 87 32 05 03