Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Quelques temps après la conférence « Ben, Jeff Koons … quand les artistes deviennent des marques. », le 22 mai 2025, à Lorry les Metz.

Jeff Koons --- Richard Orlinski

 

Présentée par Kelem Coll, cette soirée organisée par LesArts57, a réuni une trentaine de personnes ce jeudi 22 mai à l’espace Philippe de Vigneulles de Lorry. Guide conférencier et chargé de médiation et de programmation jeune public au Centre Pompidou-Metz, Kelem Coll va nous inviter à nous poser des questions sur le statut d’artiste, est ce celui qui fait ou celui qui imagine ? et sur la frontière entre artiste et marque …

Quelques temps après la conférence « Ben, Jeff Koons … quand les artistes deviennent des marques. », le 22 mai 2025, à Lorry les Metz.

1.  Entre art et marque, une frontière de moins en moins facile à percevoir.

  • Fonctionnement d’une marque. Certains artistes plasticiens se demandent quel produit va plaire, sera réutilisable. Ils réfléchissent aux stratégies de vente, comment toucher le maximum de personnes, utiliser les réseaux et les influenceurs, être le moins cher possible…
  • Des artistes sont parfois plus connus pour leurs produits dérivés que pour leur art.

Par exemple, lors de la mort de Ben, en2024, les gens le connaissaient plus souvent pour ses trousses que pour son travail artistique. Est-ce que Ben n’est pas devenu une marque ?

  • Certains artistes ne « font » plus mais imaginent, ils font réaliser et signent. L’aspect de la fabrication de l’œuvre n’est plus au centre de leur préoccupation, c’est l’idée qui prévaut. Ils deviennent commanditaires et s’éloignent de la fonction première de l’artiste qui est de créer dans un atelier et de la notion d’artisanat. Est-ce qu’un artiste a besoin de fabriquer pour être un artiste ?
  • Vendre fait partie du métier d’artiste mais lorsque les œuvres sont réfléchies comme des produits et que la production devient industrialisée, elle produit les mêmes œuvres dans n’importe quel endroit du monde, en différentes dimensions, différents coloris, différents supports : ex : le ballon dog de Koons … la spéculation générant toujours plus d’argent, le marché de l’art explose. Depuis 2021 est apparu un marché d’œuvres numériques, les NFT (Non Fungible Tokens, Token = jeton). L’artiste crée une œuvre virtuelle et vend le code pour y avoir accès et qui ouvre le fichier. Ces œuvres ne sont mises en valeur que sur des profils Instagram, ou autre. On vend plus l’idée, le code, le concept de l’œuvre virtuelle que l’aspect visuel qui peut être copié ! Certaines stars achètent leur NFT personnalisé : le basketteur Stephen Curry a son Ape (singe), Omar Sy (en chimpanzé). Les NFT font partie de l’évolution des technologies, de l’évolution de l’art et génère, là aussi, une énorme spéculation, de l’argent facile…
  • La quête du buzz, de la reconnaissance, se faire connaitre quoi qu’il en coûte ! « Mieux vaut un bad buzz que pas de buzz » ! faire scandale pour être connu, souvent sous le miroir grossissant des réseaux sociaux.
Ready-made de Marcel Duchamp.

 

  • Le ready-made a marqué l’histoire de l’art, un objet du quotidien, détourné de sa fonction devient une œuvre d’art, et pose la question du regardeur tant qu’elle est placée dans un musée, mais qu’advient-elle si elle est sortie du musée ?  Perd-elle son statut d’œuvre d’art.
  • Des marques s’approprient le travail d’artistes et développent avec eux des partenariats : Perrier et Murakami, Vuitton et les motifs de Yayoi Kusama. Elles peuvent aussi s’approprier les œuvres d’anciens artistes tombées dans domaine publique : H&M et les sweats Jean Michel Basquiat, Bershka : vestes Keith Haring.

2.  Un processus pas si nouveau.

  • Depuis toujours dans les ateliers, des artistes (Rodin, De Vinci) étaient secondés par des assistants qui pouvaient réaliser une partie ou l’œuvre entière qu’ils signaient.
Salvator Mundi, Vinci ? 1490.
  • Le tableau le plus cher du monde, Salvatore Mundi de Leonard de Vinci supposément, a été acheté par le prince héritier saoudien Mohamed bin Salman (450 millions d’euros). Son attribution à Léonard de Vinci fait encore débat :  le tableau aurait bien été réalisé dans l’atelier du maître mais pas nécessairement par Léonard lui-même, processus connu dans l’histoire de l’art.
  • Faire pour plaire. Les portraits réalisés étaient souvent flatteurs pour plaire au commanditaire, par exemple celui de Charles Quint, que les historiens décrivent avec un menton si proéminent qu’il ne parvenait pas à fermer la bouche. Le portrait commandé à Juan Panta de la Cruz parait flatteur comparé à celui, sans doute plus réaliste, d’Amberger.
Portrait de Charles Quint par Juan Panta de la Cruz. 1500-1550.--Portrait de l’empereur Charles Quint par Amberger. 1500-1550.
  • Avoir un personnage plus « fort » que ce qu’il fait. Dali « … fou du chocolat Lanvin », a aussi dessiné le logo de Chupa Chups et réalisé de nombreux spots publicitaires utilisant la puissance de sa personnalité « Ma plus grande œuvre d’art c’est moi, Salvatore Dali » ! …  ou le joueur de foot Ibrahimovic très connu, lui aussi, pour sa forte personnalité dans les interviews plus que pour son jeu sur le terrain.
  • Faire réagir, provoquer, questionner, l’artiste italien Maurizio Cattelan en est coutumier. The Comedian, (2019) est une banane scotchée sur un mur. Le concept de l’œuvre a été acheté 100 000 euros, revendu 300 000… (un exemplaire s’est vendu à 120 000 dollars) .…  Elle comprend aussi la notice pour changer la banane, utiliser le bon adhésif - le scotch argenté-, … Exposée en ce moment à Pompidou, elle est remplacée une fois par semaine ! L’œuvre ne manque pas de faire réagir et attire, l’artiste a réussi son coup !  Elle pose la question sur la spéculation dans les milieux de l’art et à quel point le marché de l’art peut devenir fou pour une idée !

3.  Ce qu’on attend de l’art et de l’artiste.

Les attentes sont variées selon que la question est posée à des scolaires, des personnes de toutes conditions …

  • Le beau, le bien fait plutôt figuratif.
  • Le fond, l’engagement, les problématiques du monde, les messages…
  • La forme qui impressionne, génère une émotion (par exemple les très grands draps peints de Katharina Grosse exposés à Pompidou récemment) …
Paul Mc Carthy, Tree, 2014 – Marina Abramovic, The artist is present.
  • L’art qui teste les limites, le seuil de tolérance de chacun. Mc Carthy en installant Tree, un sapin de Noël gonflable à Paris, joue sur l’ambivalence de l’œuvre qui évoque aussi un sex-toy, d’ailleurs vandalisé plusieurs fois !  L’art performatif : par exemple vidéo de Mc Carthy : nu, enduit de ketchup sur nappe blanche si difficile à regarder, certains tiennent 5 secondes, d’autres 1 mn ! ou les performances de Marina Abramovic : compter des grains de riz (dans l’atelier-studio actuellement à Pompidou), écrire son prénom une fois en 45 minutes, rester assis sans bouger le plus longtemps possible en face de l’artiste, … autant d’expériences qui repoussent les visiteurs ou l’artiste dans leurs retranchements. A cette quête de limites, l’artiste ne donne pas de réponse mais s’adresse à celui qui observe son art.

5 exemples significatifs.

  • Orlinski. Un artiste qui n’a pas besoin de musée.

Sculpteur et D.J, né en 1966, cet artiste pluridisciplinaire, ami des politiques, évolue dans le show-biz. Il est surmédiatisé dans la presse people mais jamais dans les magazines d’art ! Il sait se vendre, place ses sculptures dans les endroits stratégiques des villes (nombreuses à Nice), stations balnéaires la côte d’azur, stations de ski huppées (Courchevel), Disneyland, en offre aux personnalités… mais les musées ne l’exposent pas.  L’’esthétique simple de ses sculptures en résine colorée est efficace : gorille, dinosaure, crocodile. Mais cet artiste pose question car ces animaux à facettes, d’une qualité un peu discutable, semblent bien inspirés du designer Xavier Veilhan dont le Lion est bien connu, ainsi que le très beau Carrosse violet longtemps installé sur l’esplanade à Metz.

Sculptures de Xavier Veilhan.

 Surmédiatisé, Orlinski a un monopole sur le milieu de l’art dans les villes qui dépensent beaucoup d’argent pour ce style de sculptures. Il a trouvé un filon et les produit en de nombreux exemplaires. C’est le cas qui se rapproche le plus d’une marque. Est-ce que le terme d’artiste correspond encore à Orlinsky ?  Ce qui pose question, c’est le statut d’artiste à vie lorsqu’il devient plutôt une marque, un produit.

  • Jeff Koons.

Né en 1955 à New York, cet ancien courtier n’a jamais touché aucune de ses œuvres mais il est à la tête d’une entreprise de 100 personnes. Symbole de l’art capitaliste, il a le statut d’artiste et de chef d’entreprise. Très contesté, cependant à la différence d’Orlinski, ses œuvres sont omniprésentes dans les musées contemporains qui les programment pour attirer un autre type de public.

Le processus de création et le statut d’artiste sont discutables, il a bien compris la notion de buzz et de rentabilité. Il remixe de nombreuses fois le produit qui marche, mais on peut déplorer une absence de renouvellement dans son travail. Il collabore avec H&M, Lady Gaga, … transpose partout ses motifs, processus identique à celui d’une marque. Il s’est fait connaitre par des photos avec sa femme, actrice pornographique.

Collaboration Jeff Koons et H&M – Pochette de l’album de Lady Gaga.

 

Ben.

Benjamin Vautier est né en 1935 à Naples et décédé en 2024 à Nice où il est venu s’installer. Artiste rebelle, performatif, il veut marquer le monde, délivre des messages souvent philosophiques posant beaucoup de questions. Une immense exposition lui a été consacrée à Nice en 2023-24.

Il encadre et signe Nice tout comme Yves Klein signait un morceau de ciel en sautant puis vendait la photo du morceau de ciel signé. Il a aussi réalisé des performances, certaines l’ont poussé dans ses retranchements : relier Cannes à Nice en courant, et en arrivant vomir sur une toile pour transcrire sa souffrance !

Mur d’exposition rassemblant de nombreux tableaux de Ben, peintre.

Très connu pour ses produits dérivés, cette idée simple de l’écriture blanche sur fond noir, il est aussi devenu une marque qui lui a permis de vivre de son art.

Entrepreneur, sa fille gère les affaires, il a cependant gardé son âme d’artiste, capable de parler des heures durant dans une exposition ou une galerie. Partout dans la ville de Nice, aux arrêts de tram, sur les ronds-points, on retrouve son écriture si reconnaissable.

  • Cattelan.

Né à Padoue, cet artiste italien, de réputation mondiale, est le symbole d’une certaine rébellion. Surnommé l’enfant terrible de l’art contemporain, Maurizio Cattelan, est aussi un « héritier » du ready-made qu’il utilise avec une imagination débordante souvent provocatrice qui pose beaucoup de questions.

Il se réapproprie non seulement des objets du quotidien mais aussi des gens, lui notamment, dans une œuvre composée d’une cinquantaine de petits visages, versions différentes de lui-même ! Il ne fabrique rien. Il a des idées improbables, perturbantes mais toujours intéressantes. Il se veut anti-système mais il s’en sert : il est présent à la galerie Perrotin, qui vend et met en valeur les artistes !

La Nona Ora, 1999 --- HIM, 2001.

L’œuvre Nona Ora , où le pape est écrasé par une météorite a fait sa réputation : a-t-on le droit de faire cela ? Est-ce que c’est bien de faire cela ? Il interroge, perturbe avec des images étranges, choquantes comme HIM, Hitler à genoux, veut-il se faire pardonner ?...

Felix, 2001.

Ses œuvres sont toujours bien réalisées, belles à voir, il en a l’idée mais les fait fabriquer. Changeant un détail, des dimensions, il transforme des choses ordinaires en qq chose d’extraordinaire : Felix, le squelette d’un chat à la taille d’un dinosaure !!! Recréer techniquement le squelette géant du chat est une prouesse.

Qui est l’artiste ? celui qui conçoit ou celui qui fabrique ? Le tribunal de Paris a apporté une réponse au procès Cattelan-Druet en 2022. Elle fait jurisprudence sur la paternité d’une œuvre. Daniel Druet, exécuteur de 8 sculptures en cire commandées par Maurizio Cattelan pour le musée Grévin, l’avait poursuivi en justice réclamant des droits de propriété intellectuelle ainsi qu’un dédommagement. Le tribunal a rejeté sa requête. Pour les juges, c’est bien Cattelan l’auteur des œuvres, il est l’artiste qui a eu l’idée, Druet en est l’artisan.

  • Banksy.

Mondialement connu pour ses œuvres engagées, cet artiste de street art, est né à Bristol en 1974. Il entretient un grand mystère autour de son identité.  Avec une imagerie assez simple, ses œuvres au pochoir touchent un maximum de personnes. Mais est-il réellement engagé ou très fort en communication ?

Image tirée du film sur Banksy « Faites le mur ».
 

Son mythe est construit de toute pièce : dans un reportage, sa trace est perdue, puis retrouvée, un peu mal filmée, il est interviewé. Le film est captivant mais au final il est produit par … un mystérieux studio Banksy !!! 

Rage, The Flowers Thrower, 2003, Jerusalem --- Judo , Borodianca

Combat engagé ou une certaine démagogie ? Ses œuvres livrent des messages sur lesquels tout le monde est d’accord ! Le bouquet sur un mur entre Palestine et Israël, message fort et intéressant, vouloir la paix entre les deux est un souhait universel.

Ses représentations simples et très parlantes sont proches de spots publicitaires. Lors de la vente très médiatisée d’une reproduction de la petite fille au ballon-cœur, la toile s’autodétruit (à moitié) au coup de marteau !!! Hyper malin dans sa communication. Est-ce le propre d’un artiste ou le propre d’une marque ?

En conclusion,

  1. Est-ce grave que certains artistes soient à la frontière entre artiste et marque ? question pas entièrement résolue, ce n’apparait pas grave tant qu’il y a des acheteurs.
  2. Ce qui pose question, par contre, c’est la qualification d’artiste ou de marque. Est-ce que l’artiste trahit le geste artistique et le visiteur quand son but est de vendre et que spectateur n’est plus la cible du projet mais le moyen de s’en servir comme audience pour vendre à d’autres personnes. La cible de l’artiste devient alors l’acheteur et non celui qui étudie, aime l’œuvre. Dans cette optique, on peut rapprocher Orlinski et Koons d’une part et Ben et Cattelan d’autre part.

Conférence passionnante, interactive et subjective de Kelem Coll qui a suscité de nombreuses questions dans l’assemblée.  Qu’est une œuvre art ? Est-ce que l’IA peut réaliser une œuvre d’art ? Vaste question, mais Kelem apporte une réponse : l’œuvre d’art naît de l’intention de créer une œuvre d’art. Un dessin, une peinture, une musique ne peut pas être œuvre d’art tant qu’il n’y a pas cette intention. Pour Duchamps, c’est le visiteur qui fait l’œuvre : si personne ne la regarde ce n’est pas une œuvre d’art. La banane de Cattelan repose sur la renommée antérieure de l’artiste, si ce n’est pas lui, la banane ne vaut rien ! pour certains c’est une œuvre d’art car il avait l’intention d’en faire une, pour d’autres c’est une escroquerie !

Kelem Coll attend d’une œuvre d’art qu’elle touche le spectateur, qu’elle provoque une émotion.

Prochaine rencontre avec Les Arts 57 :

 Jeudi 26 juin à Moulins les Metz, au Château Fabert, à 20h.

« A quoi rêvent les peintres ? »

Conférence présentée par Jean -Yves Bègue. 

Réservation obligatoire par mail ou par tél :

 lesarts57@gmail.com   ou tél.   03 87 32 05 03 

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article