Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Au lendemain de la conférence "La Nouvelle Objectivité et son temps", le 6 février 2023 à Longeville-les Metz.

.

.

.

George Grosz, Les Piliers de la Société, 1926.

Présentée par Laurent Commaille, Maître de conférences en Histoire Contemporaine à l'Université de Lorraine, cette soirée était organisée par LesArts57 en partenariat avec l'association Echange & Culture de Longeville au centre social Robert Henry. Cette rencontre avec Laurent Commaille, que nous retrouvions avec grand plaisir pour la dixième fois, a rassemblé 43 personnes venues découvrir ce courant artistique, un peu énigmatique, de "La Nouvelle Objectivité ".

Au lendemain de la conférence "La Nouvelle Objectivité et son temps", le 6 février 2023 à Longeville-les Metz.
Franz Marc, Die grossen blauen Pferde, 1911

La peinture allemande du XIX e siècle est restée longtemps figurative, romantique, et plutôt bourgeoise. Début XX e, quelques artistes expressionnistes, à l’image des fauves français et de la sécession viennoise, apportent un sursaut de modernisme mais la guerre va y mettre fin. Marc et Macke, principaux représentants de l’expressionnisme allemand, sont morts pendant la guerre.

 

En juin 1925, le critique d’art et directeur de musée Gustav Friedrich Hartlaub organise une exposition de peintures à la Kunsthalle de Mannheim : « Nouvelle Objectivité, la peinture allemande depuis l’Expressionnisme ».  Dans cette période d’après-guerre, les œuvres des artistes expriment la dure réalité de l'époque. Il les réunit sous le titre « Neue Sachlichkeit » traduit par Nouvelle Objectivité. Ce courant artistique se développe en Allemagne à partir de 1918 et prendra fin avec l’arrivée du nazisme en 1933 environ. Trois centres importants : Cologne-Düsseldorf, Dresde, et surtout Berlin, constituent le triangle actif de la Nouvelle Objectivité.

Contrairement à l’ambiance des années folles en France, la période de l’immédiat après-guerre en Allemagne est encore très tourmentée. Les marins révoltés des ports du Nord de répandent en Allemagne et arrivent à Berlin. D'autres soldats les rejoignent. On se bat un peu partout. Le gouvernement républicain fait appel aux Corps Francs pour mater les révolutionnaires … On se bat dans les rues, en Bavière, dans la Ruhr…

Affiche rouge à Metz, 9 nov. 1918. --- Les soldats « rouges » arrivent à la porte de Brandebourg, Berlin.

 

Karl Arnold, 1923.

 

Les gens meurent de faim …, l’inflation est galopante.

 1 dollar vaut :

en janvier 1922 :   192 Marks

en janvier 1923 :  18 000 Marks

en octobre 1923 :  25 milliards Marks !

La stabilité monétaire revient fin 1924.

Après les débuts difficiles de la république de Weimar, la prospérité revient pendant quelques années, avec ses excès et ses dérives. Mais en 1929, c’est le krach boursier de Wall Street. Les Américains rapatrient leurs capitaux, l’économie allemande s’effondre à nouveau.

Berlin vers 1925.

 

Témoin de la période prospère, le bâtiment IG Farben à Francfort, siège de l’important complexe industriel, construction la plus grande et la plus moderne d’Europe.

 

Parmi les thèmes de la Nouvelle Objectivité, celui de la société représentée avec le maximum de réalisme en est le sujet principal.

Georges Grosz, traumatisé par la guerre, caricature de façon violente les différentes classes sociales par cinq personnages :

  • L’aristocrate balafré (marque de son passage par l’université), porte l’épée, sur sa cravate une croix gammée, et, sortant de son crâne, un chevalier.
  • Le patron de presse, plumes et journaux, dit agir pour la paix mais déverse une information « pot de chambre ».
  • Le politicien, drapeau de l’empire en main, alors qu’on est en république, des excréments sortent de son crâne.
  • Le pasteur, geste d’empathie avec ses mains mais qui, en réalité, est heureux de voir les immeubles de la nouvelle république brûler !
  • Le général, sabre en main, derrière lui la soldatesque qui met tout à feu et à sang.

 

 

Georges Grosz, Les Piliers de la Société, 1926.

Toile très violente aussi de Max Beckmann, autre grand nom de la Nouvelle Objectivité, réalisée en 1918-19. Une femme attachée, à demi dénudée, un homme se fait étrangler. Tout se passe dans des abris, et symbolise la misère et la violence de l’époque. De formation classique, Beckmann utilise pourtant une façon de dessiner et peindre évoquant la peinture médiévale. Le visage à droite, en particulier, rappelle les gravures sur bois du  XV e, et la peinture allemande du XV e et XVI e représentant les révoltes paysannes.

 

Max Beckmann, Die Nacht, 1918-19.

 

Moins connu, Georg Scholz, sous des apparences de peinture naïve, représente des scènes à la critique acérée. Le père, rigide, bible sur le cœur, la mère une vis enfoncée dans le crâne, le fils à l’air demeuré, une paille pour avaler… Le modernisme des paysans est symbolisé par la moissonneuse, vue par la fenêtre, mais toujours ils restent attachés à l’ordre ancien : buste et photo de l’empereur…

 

 

Georg Scholz, Industriebauern, 1920.

Georg Scholz, Badische Kleinstadt bei Tage, 1923. --- Le Boucher, 1923.

Georg Scholz, Badische Kleinstadt bei Tage, 1923. --- Le Boucher, 1923.

Corbillard qui vient chercher les dépouilles dans les rues, boucher qui s’enrichit alors que les gens meurent de faim… Scholz s’en prend violemment à la société dans sa région.

 

 

Rudolf Schlichter, dénonce l’hypocrisie de la société berlinoise de l’époque. Dans une rue « chaude » de Berlin, cet « apôtre » est censé indiquer le droit chemin à la jeune prostituée ou 1/2 mondaine, mais le personnage est lui-même terriblement ambigu.

 

 

Rudolf Schlichter, Der Apostel auf der Tauentzienstrasse, 1925.

 

Connue comme dessinatrice de mode dans la presse, Jeanne Mammen réalise des œuvres sur la société berlinoise de son époque.  Cette aquarelle illustre la vie mondaine, haut de forme, monocle, coiffe élégante…  En arrière-plan, les bâtiments éclairés, immeubles récents, ponts, chemin de fer témoignent de l’effort de construction, de progrès de la république de Weimar et de la reprise de l’urbanisme à partir de 1924. L’immeuble du Karstadt de Berlin est à l’époque le plus grand magasin de mode.

 

 

 

Jeanne Mammen, Die Grossstadt, 1927. Aquarelle et crayon.

Georg Grosz, Kriegstauglich. Bon pour le service !      ---         Otto Dix, Soldat Blessé, 1924.

Georg Grosz, Kriegstauglich. Bon pour le service ! --- Otto Dix, Soldat Blessé, 1924.

 

Certains artistes profondément traumatisés rendent compte des horreurs de la guerre par des dessins et des gravures. Otto Dix s’est engagé ; il a voulu faire l’expérience de la guerre et en est resté marqué toute sa vie. Dans ce paysage de désolation des Flandres, nous percevons d’abord le vide au loin avant de découvrir le sol jonché de cadavres au premier plan.

 

Otto Dix, Près de Langemark, 1924.

Otto Dix, Der Krieg, tempera sur bois, 1929-32.

Otto Dix, Der Krieg, tempera sur bois, 1929-32.

Réalisé sur le modèle d’un retable, ce triptyque est une œuvre majeure d’Otto Dix. Partie gauche, dans la brume, les soldats vont au front. Au centre, paysage de désolation du champ de bataille, restes d’une ville au fond, cadavres, morceaux de membres, de viscères, poteau calciné, soldat avec masque à gaz, cadavre empalé… A droite, après le combat, le rougeoiement des incendies. Un homme en blanc essaie de sauver un camarade, c’est Otto Dix lui-même, il n’est pas en uniforme de soldat. En-dessous, les morts alignés dans un caveau. Le format du retable, la façon de rendre ces visions infernales, le dessin, les couleurs, rappellent le Moyen Âge. Les artistes de la Nouvelle Objectivité reprennent souvent les vieilles traditions avec des moyens modernes comme le montre ce triptyque est réalisé a tempera (peinture à l’œuf) sur bois comme à l’époque médiévale.

 

Après la société et la guerre, un troisième thème est souvent abordé par les artistes de la Nouvelle Objectivité, ce sont les individus.

Devant l’usine à l’arrêt, ce chômeur semble décidé, combattif et pas résigné. Le ceinturon à sa taille porte une couronne, sans doute un ceinturon militaire. Des objets, et des roues brisées au sol, aucun signe d’activité de l’usine.

 

 

 

Otto Griebel, Der Arbeitlose, 1921, aquarelle.

 

Le photographe August Sander, dans son ouvrage « Hommes du XXe siècle » réalise des clichés de gens de tous métiers. Il réalise les portraits avec leur outil de travail, les photographie dans leur activité. Il s’inscrit complètement dans l’esprit de la Nouvelle Objectivité en restituant une image fidèle de la société de son temps. Son travail s’apparente à ce qui se fait aux U.S.A et il est invité par le photographe d’origine luxembourgeoise Edward Steichen pour une exposition au MoMA après la 2ème guerre mondiale.

 

 

 

August Sander, Maître pâtissier, 1928.

 

 

Redécouverte depuis quelques années, Elfriede Lohse-Wächtler, jeune femme non conformiste, a peint des portraits de personnes, quelle que soit leur activité. Cette représentation d’une prostituée de Hambourg a fait l’objet de nombreuses critiques.

 

 

 

Elfriede Lohse-Wächtler, Lissy, 1931, aquarelle sur crayon.

Bien avant la guerre, Käthe Kollwitz (1867 -1945) avait réalisé une série de gravures sur la Révolte de tisserands et une autre sur le thème de La Guerre des paysans. Elle dessine, grave et sculpte des œuvres dont les thèmes rejoignent l’esprit de la Nouvelle Objectivité. Un courant artistique n’est jamais linéaire. En 1914, elle perd son fils, mort sur le front. La sculpture où elle se représente elle-même avec son fils mort a déclenché une polémique lorsque le chancelier Kohl a voulu l’utiliser en mémoire de la Shoah.

Käthe Kollwitz, Die Mutter, bois, 1922. --- Mère et son fils mort, 1937.

 

Dans les années 1920, les artistes peuvent s’exprimer, ils ont du succès, de la reconnaissance et malgré leurs outrances peuvent vendre leurs œuvres. Dans les années 1930, ils commencent à subir la violence des nazis qui considèrent leurs œuvres laides et déshonorantes. Expressionnisme et abstraction subissent aussi leurs foudres. Une première exposition sur l’art dégénéré se tient à Munich en 1937, suivie d’une seconde à Berlin en 1938 puis dans différentes grandes villes. Environ 20 000 œuvres d’art sont confisquées et des centaines détruites.

Au lendemain de la conférence "La Nouvelle Objectivité et son temps", le 6 février 2023 à Longeville-les Metz.Au lendemain de la conférence "La Nouvelle Objectivité et son temps", le 6 février 2023 à Longeville-les Metz.
Georg Scholz, Die Herren der Welt, 1922.

Cette lithographie de Scholz a disparu après confiscation. Des hommes puissants dominent le paysage, une jeune femme dénudée sur la même passerelle …

Il peut rester des œuvres dans le privé ?   Il y a quelques années, le scandale Gurlitt avait éclaté. Ce galeriste avait acheté à bas prix bon nombre d’œuvres à des collectionneurs israélites qui voulaient quitter le pays à la hâte et entassé dans un appartement une énorme collection que son fils continuait à écouler au fur et à mesure. Une commission spéciale et un travail de recherche pour restituer les œuvres à leur famille a été entrepris.

De nombreux artistes ont maille à partir avec la gestapo. Ils perdent leur poste d’enseignant ou responsable de structures artistiques. Certains fuient le pays, émigrent aux Pays bas, aux Etats Unis… d’autres choisissent l’exil intérieur. Ils se font oublier, se replient dans des villages, vivent plus ou moins reclus.

 

Otto Dix s’est un moment réfugié en Autriche, à Randegg, petit village au nord-ouest de Vienne. Le cimetière juif rappelle la peinture flamande, sorte de résistance et de provocation douce malgré son exil. De nombreux peintres choisissent des sujets religieux, des paysages sans vie, … 

 

 

Otto Dix, Cimetière juif à Randegg, 1935.

Elfriede L.W. en 1928.
E. Lohse-Wächtler, Repos douloureux, 1929.

Destin plus tragique pour Elfriede Lohse-Wächtler, sujette à des douleurs. Soucis matériels, dépression, elle est placée dans un établissement thérapeutique et exécutée par les nazis dans le cadre du programme T4 en 1940. Les personnes déficientes ou handicapées placées dans des asiles étaient éliminées. On informait les familles qu’ils avaient eu un problème cardiaque.

Apres la deuxième guerre mondiale, les peintres de la Nouvelle Objectivité sont laissés de côte en raison de la guerre froide. De nombreux artistes avaient des origines modestes et étaient proches des communistes. Otto Griebel était passé en Allemagne de l’Est. Ils dénonçaient les travers de la société occidentale. Les archives, maintenant accessibles, ont permis de découvrir que la C.I.A, et Rockfeller, administrateur du MoMA ont tout fait pour promouvoir l’art abstrait et faire oublier ces œuvres qui tentaient d’atteindre une réalité peu flatteuse.

Timbre de la RDA, illustration Käthe Kollwitz, 1970.

Prochaine rencontre avec Les Arts 57 :

Conférence le jeudi 2 mars à 20 H à Lorry-les-Metz.

A l’espace Philippe de Vigneulles (rue des écoles)

Soirée présentée par Catherine Bourdieu

" Gustave Caillebotte, peintre impressionniste, collectionneur et mécène."

 

Réservation obligatoire par mail ou par tél.

 lesarts57@gmail.fr   ou tél.   03 87 32 05 03 

Participation : 3 euros adhérent et étudiant- 5 euros non adhérent.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article